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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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Tuileries et des monuments des environs. La journée fut bien remplie, mais aussi elle offrit à l’imagination de bien puissants souvenirs.

LA DISTRIBUTION DES AIGLES
     
    6 décembre. – Ainsi que pour la précédente prise d’armes, nous nous levâmes avant le jour pour nous rendre au Champ de Mars, où nous étions établis dès 8 heures du matin, pour recevoir nos aigles, et entourer le trône de tout l’éclat que la troupe prête à ces cérémonies. De grands préparatifs avaient été faits, pour donner à cette nouvelle consécration toute la majesté, toute la pompe qu’exigeait une aussi imposante solennité. En même temps que nous, les autres régiments de la garde, les troupes en garnison à Paris et celles qui étaient arrivées pour assister au sacre, les députations des gardes nationales de France et de toutes les armes de l’armée de terre et de mer, vinrent prendre leur place de bataille. Le Champ-de-Mars, tout vaste qu’il est, ne pouvait contenir tout ce qui avait été convoqué ou qui était venu volontairement, pour recevoir et jurer fidélité au drapeau qu’on devait distribuer dans cette grande journée.
    Après la remise des aigles à chaque chef de corps et la prestation de serment, le défilé commença. Ce fut très long et ne se termina qu’à la nuit. Nous fûmes les derniers à nous retirer. Ç’aurait été vraiment beau, si le temps eût favorisé cette majestueuse solennité. Mais le dégel, la pluie, le froid avaient glacé, sinon l’enthousiasme et le dévouement de l’armée à son glorieux chef, du moins les bras et les jambes. On était dans la boue jusqu’aux genoux, surtout en face de l’immense et magnifique estrade où se tenait l’Empereur, entouré de sa cour et de tout l’état-major général de l’armée.
    Je vis, dans cette immensité armée, le sergent du 46° de ligne qui portait dans une petite urne en argent, attachée sur le côté de sa poitrine, le cœur du premier grenadier de France, le valeureux La Tour d’Auvergne, mort au champ d’honneur.

UNE SOIRÉE AU PALAIS ROYAL
     
    Quelques jours après notre rentrée à Écouen, je retournai à Paris, avec mon nouvel ami Tournilhac, pour faire mes adieux à plusieurs de mes compatriotes, et chercher quelque argent chez l’un d’eux. Après avoir pris un très léger déjeuner, que je payai du dernier argent qui me restait, nous nous séparâmes pour aller chacun de notre côté à nos affaires, et recevoir ce que nous espérions toucher. Il fut convenu qu’on n’accepterait aucune invitation et qu’on se réunirait, à 5 heures précises, sous les galeries de bois du Palais Royal.
    Je fus exact au rendez-vous, ayant l’estomac aussi vide que la bourse. J’attendis longtemps, bien longtemps, sans voir arriver celui que j’appelais intérieurement mon sauveur. Ma position était critique. Sans argent, sans pain, sans asile, je tremblais de peur et de froid, car le temps était rigoureux. Je craignais que mon étourdi, placé devant une succulente table et près d’un bon feu, ne m’eût oublié. Je faisais de bien tristes réflexions. Enfin il arriva, aussi pauvre que moi, mais plus résolu. Il me dit : « Allons chez un capitaine de hussards de ma connaissance. C’est un bon et brave militaire, retenu chez lui par la goutte ; il sera enchanté de donner à dîner à deux héros affamés. »
    En effet, nous fûmes parfaitement et cordialement accueillis. Après un excellent dîner, donné de bon cœur et mangé de même, près d’un bon feu, mon monsieur sans gêne dit : « Ce n’est pas tout, capitaine. Il faut que tu me donnes cent sous pour aller au spectacle et payer notre lit dans un hôtel. » Le capitaine, en homme qui sait vivre, nous donna la pièce et nous souhaita beaucoup de plaisir. Je fus émerveillé de cette réception presque paternelle, et de la joie que ressentait ce digne homme d’obliger deux étourdis.
    Après notre sortie du Vaudeville, nous fûmes au café des Aveugles dépenser encore ; toutefois, avec assez d’argent de reste pour payer un lit ; mais il était plus de minuit, les hôtels étaient fermés, nous nous trouvions encore une fois sur le pavé. Fatigués, grelottants de froid, nous nous réfugiâmes dans un corps de garde, où l’on voulut bien nous recevoir. Ah ! je me promis bien de ne plus me retrouver dans une semblable position par ma faute.
    Le lendemain, nous rentrâmes à Écouen, le gousset plus garni, et satisfaits

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