Souvenir d'un officier de la grande armée
d’avoir pu témoigner tous nos remerciements à ce bon capitaine que, dans ma reconnaissance, je comparais à Bayard, le chevalier généreux, sans peur et sans reproche.
DÉPART POUR L’ITALIE
15 janvier 1805. – Le 14 janvier 1805, l’ordre arriva de prendre dans les compagnies tous les hommes valides qui étaient à l’école de bataillon, et d’en former deux détachements qui allaient être dirigés sur Paris. Je fus placé dans le premier.
Nous ignorions pour quelle expédition nous étions désignés, mais nous avions la certitude de ne plus retourner dans cette garnison d’Écouen, où nous avions été rondement menés, – je ne dis pas rudement, car la discipline y était douce, – mais où nous avions fait tant d’exercices !
Nous étions prodigieusement chargés, et, pour surcroît d’embarras, nous portions sur nos sacs, attachés avec des ficelles, nos monstrueux bonnets à poil, enfermés dans des étuis de carton, semblables à ceux des manchons de ces dames. La pluie nous prit en route ; les cartons se ramollirent et devinrent de la pâte ; bientôt nos bonnets roulèrent dans la boue et firent horreur. Qu’on se figure des soldats portant à la main ou sous leurs bras quelque chose d’aussi hideux ! C’était une vraie marche de bohémiens que la nôtre.
Enfin on arriva à l’École militaire, mouillés jusqu’aux os et exténués de fatigue, à cause de la pesanteur de nos sacs, du mauvais état des chemins et de la gêne de notre marche. Pour nous délasser, nous couchâmes à trois , et reçûmes l’ordre de nous préparer pour passer la revue de l’Empereur, dès le lendemain.
Après une nuit très laborieuse, nous prîmes les armes, dès le jour, pour nous rendre dans le jardin des Tuileries. Là, on versa dans chaque compagnie de chasseurs (les vieux) une portion du 1 er détachement des vélites, on les plaça par rang de taille, et on nous annonça qu’à partir de ce jour nous faisions partie de ces compagnies. Je me trouvai dans la 2 ème compagnie du 2 ème bataillon. Encadrés dans les rangs de ces vieilles moustaches, qui avaient tous un chevron au moins, nous avions l’air de jeunes filles auprès de ces figures basanées, la plupart dures, envieuses mécontentes de ce qu’on leur donnait des compagnons aussi jeunes. Cette opération terminée, nous entrâmes dans la cour du château, où l’Empereur passa la revue de la partie de la Garde qui devait se rendre en Italie. Ses cadres organisés, nous défilâmes et rentrâmes à l’École militaire pour nous préparer au départ du lendemain.
JE DÉCIDE DE TENIR MON JOURNAL
17 janvier. – Avant notre départ, le maréchal Soult nous passa en revue dans le Champ-de-Mars. Il tombait du verglas, ce qui nous incommoda beaucoup. La revue de cette portion de la garde qui se rendait en Italie, composée d’un régiment de grenadiers et de chasseurs à pied, d’un régiment de grenadiers et de chasseurs à cheval, de la légion de la gendarmerie d’élite et des mameloucks, étant terminée, nous partîmes pour aller coucher à Essonnes. Partis tard, nous arrivâmes tard, cruellement fatigués, à cause de la longueur de l’étape, du mauvais état des chemins, du poids de mon sac, et surtout du manque d’habitude de la marche militaire. Avant de nous distribuer les billets de logement, on maria un vélite avec un vieux chasseur. À la première vue, au ton brusque de mon conjoint, je n’eus pas à m’applaudir du choix que me donnait le hasard.
C’est dans cette journée (en causant avec un vélite de mes amis sur les prodigieux événements dont nous avions été témoins depuis dix mois que nous étions en service, et sur le bonheur que nous avions de voir cette belle Italie, si célèbre dans l’histoire, et surtout depuis les immortelles campagnes de 1796, 1797 et 1800), que l’idée me vint de tenir note de tout ce que je verrais d’intéressant dans ce voyage, et d’enregistrer la date du jour où j’arriverais dans une localité, grande ou petite, en un mot de tenir un journal de mes voyages. Mon ami partagea mon idée, et me dit qu’il en ferait autant.
J’ai toujours tenu ce journal avec régularité, inscrivant presque jour par jour, sur un cahier à ce destiné, les observations dont je croyais devoir conserver le souvenir, sans me préoccuper de l’insignifiance des dates et des faits, et de la manière dont elles étaient rédigées, et du peu d’intérêt que ce
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