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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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prise, plus de 300 francs, qui lui furent payés par l’Administration des douanes. J’eus aussi la mienne comme officier de détachement.
    Après être rentré en ville et avoir habité quelque temps la citadelle, je fus détaché à la batterie de Belle-Fontaine, peu éloignée du Palais, où je venais prendre mes repas et passer une partie de mes journées. Le logement que j’habitais ne pouvait contenir que mon lit, une chaise et une petite table ; mais il était situé dans un site charmant, précédé d’un délicieux petit parterre, et battu par la mer, où je descendais de ma petite chambre pour prendre des bains à marée basse. Quand elle était haute et agitée, elle arrivait jusqu’à la croisée.
    Le 1 er septembre, nous reçûmes l’ordre de partir le 6 pour Locminé, et j’entrevis que j’irais en Espagne. Malgré tout le plaisir que je trouvais dans cet aimable et excellent pays, qui m’avait fait connaître tant de braves gens, je ne fus pas fâché de le quitter. J’étais blasé de cette vie molle, tranquille et assoupissante. Mon âme avait besoin de se retrouver dans une sphère d’activité plus en rapport avec mon âge, et de prendre un peu de la gloire et des périls de mes camarades.
    Ces jours derniers furent employés à régler les comptes avec chacun, à emballer les effets des magasins, à faire la remise des lits, des fournitures diverses, du casernement, et autres détails aussi fastidieux que nécessaires, et puis à faire des adieux touchants, sincères et bien sentis par moi et par tous ceux avec qui je vivais depuis longtemps dans cette douce intimité. Le général Quentin, toujours extraordinaire dans tout, me vit partir avec regret. Je me séparai aussi de lui avec peine, malgré que son originalité ne fût pas toujours agréable ; à la fin, je m’étais tellement habitué à ses folles bizarreries, que je ne m’en occupais plus et que je vivais avec lui comme presque avec un de mes égaux. Il enrageait de ne pas être comte ou baron ; de ne pas être à la tête d’une division active, en Espagne ou ailleurs. Le ministre de la Guerre avait beau lui dorer la pilule, en lui disant que l’Empereur l’avait placé à l’avant-garde de l’Empire, cela ne lui suffisait pas. Que de lettres il m’a dictées, pour se plaindre de l’oubli où on le laissait ! Que de fois il m’a fait part de l’insulte qu’on lui faisait, en méconnaissant ses capacités militaires. Un jour, il reçoit un paquet où l’adresse portait : à M. le général de division Quentin, à l’armée d’Espagne. Il se croit nommé, se fait couper la queue qui avait deux pieds de long, vend sa batterie de cuisine, prend pension dans un hôtel et se dispose à partir. « Aussitôt ma nomination arrivée, me disait-il, j’écrirai pour te faire nommer mon aide de camp. » Je le remerciai bien sincèrement de cet honneur, auquel je ne tenais pas du tout… Je le laissai bien découragé et sentant sa fin ou sa disgrâce. Au fond, c’était un excellent homme, mais avec beaucoup d’esprit, manquant de tenue et de jugement.
    Il était un autre homme que je voyais moins souvent, mais qui m’était aussi très attaché, c’était le père du général Bigarri, mon capitaine dans la Garde. Parler à ce bon vieillard, qui était commissaire des guerres, de son fils et de son gendre, quartier-maître au 16 ème léger, c’était le faire revivre, c’était lui rappeler toutes ses affections. Aussi étais-je un de ses bons amis.
    J’ai beaucoup parlé de Belle-Île, mais si j’avais voulu consigner dans ce journal toutes les particularités de ma vie militaire et privée, pendant ces quatorze mois de séjour, il y faudrait un volume. Le souvenir de cet heureux pays ne s’effacera jamais de ma mémoire. Ses fêtes, ses rochers, ses bons habitants y tiendront toujours une très bonne place.

ESPAGNE ET PORTUGAL
     
    Décembre 1809. – Je venais d’être nommé lieutenant, quand l’ordre arriva de faire partir le bataillon, le 10 décembre, pour l’Espagne. Le 31 décembre, j’étais à Bordeaux. Le matin du 4 janvier, avant le départ du bataillon pour Saint-André-de-Cubzac, je fus prendre à la citadelle de Blaye cent conscrits réfractaires, pour être incorporés dans le corps après notre entrée en Espagne. De crainte qu’ils désertassent encore une fois, ils devaient marcher réunis, sous la conduite d’une escorte et être enfermés tous les soirs dans un local

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