Souvenir d'un officier de la grande armée
fus à lui pour le recevoir et prendre ses ordres. Après avoir causé assez longtemps avec lui sur divers sujets de service, il aperçut, en s’approchant davantage d’un de nous bivouacs, une espèce d’homme à genoux près du feu, ayant les mains jointes et une chemise sur le corps : « Mon Dieu, me dit-il, qu’a donc cet homme, qu’a-t-il fait ? – Rassurez-vous sur son compte, mon général ; cet homme est un dieu de bois en prière, c’est un christ, qu’un voltigeur a pris à l’église pour faire sécher sa chemise. » Il rit beaucoup, tout en la blâmant, de cette plaisanterie, peu révérencieuse, que les désordres de la guerre excusaient. La douceur du caractère du général Foy, son affabilité et son accueil bienveillant me charmèrent. C’était la première fois que je lui parlais.
Depuis Tancos, nous suivions le Tage sur ses bords, à cause des montagnes, où son lit était très resserré et son cours très rapide. Ses rives étaient plus pittoresques, mais les belles plaines qui le bordaient avaient disparu.
2 novembre. – Comme nous étions au bivouac, la diane fut battue plus matin encore que de coutume. Le bataillon prit les armes, et quand il fut formé, le général Foy réunit autour de lui les officiers, pour leur annoncer que nous allions en Espagne pour l’escorter, et, lui, en mission auprès de l’Empereur. L’entreprise était périlleuse ; il ne s’agissait rien moins que de traverser un royaume en insurrection, mais avec de l’audace, de la bravoure et une parfaite soumission à ses ordres, il se faisait fort de nous conduire en Espagne, sans combats, mais non pas sans fatigues. Il nous prévint qu’on partirait toujours avant le jour et qu’on ne s’arrêterait qu’à la nuit, afin de dérober nos traces aux nombreux partis qui sillonnaient le royaume. Il nous recommanda de marcher serrés, et de ne pas nous écarter de la colonne, sous peine d’être tués par les paysans…
Voici l’ordre de marche qu’on devait suivre habituellement : une compagnie de dragons à la première avant-garde ; une section de grenadiers en avant du bataillon ; les chevaux, les mulets, les ânes, les malades et les blessés, derrière le bataillon ; les voltigeurs à l’arrière-garde ramassant les traînards, faisant serrer les hommes et les bagages ; une compagnie de dragons, plus en arrière encore, pour surveiller les derrières de la colonne ; enfin, sur les flancs, cinquante lanciers hanovriens, pour éclairer, courir et battre la campagne au loin, afin d’annoncer l’approche de l’ennemi.
Le détachement était fort de trois cent cinquante fantassins et deux cents chevaux. Le général me recommanda d’étudier le pays que nous traversions, de prendre des notes et de les lui remettre tous les soirs, quand on serait arrêté. Cette circonstance fit que je le voyais, tous les jours, deux ou trois fois, et me mit en rapport avec lui d’une manière presque intime.
Entreprendre une expédition aussi hasardeuse, avec aussi peu de monde, était bien hardi ; mais le général était actif, entreprenant, et il avait près de lui un Portugais qui connaissait le pays, plus un aide de camp qui parlait la langue pour interroger les habitants qu’on rencontrerait ou les prisonniers qu’on ferait. Pour faciliter cette course presque à travers champs, et dégager le pays des bandes qui pouvaient s’y trouver, on envoya des troupes vers la place forte d’Abrantès, avec l’idée de faire croire à un prochain siège. Cette crainte devait faire courir dans cette direction, à la défense d’Abrantès, toutes les colonnes mobiles : c’est ce qui arriva pour notre droite ; d’autres démonstrations faites à notre gauche eurent le même résultat, en sorte que nous trouvâmes le pays à parcourir presque libre.
Du reste je ne doute pas que si nous avions été serrés de plus près, le général aurait abandonné l’infanterie, qui s’en fût tirée comme elle aurait pu, et qu’il serait parti avec la cavalerie pour remplir sa mission, qui lui paraissait plus importante que la conservation de quelques centaines d’hommes. Quelques mots qu’il me dit dans une conversation particulière me le firent penser.
Le 3 novembre, nous traversâmes un village où il y avait une manutention de pain et des magasins de vivres et de vin pour les corps de partisans. À notre approche, les magistrats de la localité mirent le feu aux magasins et défoncèrent les
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