Souvenir d'un officier de la grande armée
sur Lisbonne. Ayant reconnu un peu trop tard, et quand le mal était fait, que la position de l’Alcoba était inexpugnable de front, il résolut de tourner par la droite, en s’emparant des défilés de Serdao, que Wellington avait négligé d’occuper. Cette faute obligea le général anglais de battre en retraite, de repasser le Mondego, d’évacuer Coimbre et de nous abandonner tout le pays entre les montagnes et la mer. Ainsi, malgré notre grave échec, nous continuâmes à poursuivre une armée victorieuse, abondamment fournie de tout, ayant la sympathie des populations pour elle, tandis que nous, nous ne vivions que de maraudes, qu’il fallait aller chercher loin, ce qui augmentait les fatigues et les dangers des soldats.
2 octobre. – Dans la matinée, nous finissons de sortir du long défilé de Serdao, où nous étions depuis cinq jours, et enfin des montagnes que nous traversions depuis notre départ de Rodrigo. Nous découvrons au loin la mer et, à nos pieds, un beau pays. Nous voici dans une plaine riche, fertile, couverte de nombreux villages, déserts à la vérité, comme tous ceux que nous avions trouvés, mais plus abondamment pourvus de vivres.
Le 4 octobre dans la matinée, nous restâmes quelques heures à Coimbre, belle et grande ville, sur le Mondego qui la divise en deux parties. La cathédrale et les fontaines sont magnifiques, les environs couverts de vignes, d’orangers, d’oliviers. Les Anglais en l’abandonnant avaient forcé les habitants à quitter la ville. L’armée y fit de précieuses provisions en riz, morue, café, sucre, thé, chocolat dont les magasins étaient abondamment fournis. On laissa tous les blessés et les malades dans un couvent situé sur une hauteur de la rive gauche du Mondego, avec une garde armée pour les faire respecter, mais, vingt-quatre heures après, la garde était prisonnière et les malades dangereusement exposés à être massacrés.
Le 8 octobre, en avant de Leiria, par une pluie torrentielle, la compagnie ne trouva d’autre gîte disponible que l’église, dont elle prit possession avec joie. La place et le bois ne manquant pas, nous eûmes bientôt établi un bivouac assez bon pour ne pas regretter les maisons qui regorgeaient de militaires. On y trouva d’excellent vin, et comme le sucre et la cannelle abondaient dans les sacs et bagages, on fit beaucoup de vin chaud, qui restaura tous ces corps accablés de fatigue et mouillés jusqu’à la moelle des os.
12 octobre. – Depuis trois jours, nous marchions dans les forêts d’oliviers sans discontinuité et qui semblaient n’avoir pas de limites, quand nous atteignîmes la petite ville d’Alemquer, quartier général du maréchal prince d’Essling.
Nous étions enfin arrivés dans la vallée du Tage, après laquelle nous soupirions depuis longtemps, pensant que nous trouverions sur ses bords le bien-être, un peu de repos, ou du moins de meilleurs chemins et plus d’abri. Je vis, pour la première fois de ma vie, autour de cette jolie petite ville, beaucoup de palmiers, qui me parurent d’une beauté et d’une venue remarquables.
Avant notre arrivée au gîte, le général de cavalerie Sainte-Croix, officier d’un très grand mérite, tout jeune, fut coupé en deux, au milieu de nos rangs, par un boulet de canon parti d’une canonnière anglaise stationnée sur le Tage. Le lit de ce magnifique fleuve était couvert de bâtiments armés, destinés à nous en défendre l’approche.
Le lendemain, par une délicieuse matinée, j’allai me promener avec plusieurs officiers sur les coteaux environnants, couverts de vignes, qui n’étaient pas encore vendangées, et de figuiers qui ployaient sous le poids des fruits.
14 octobre. – À Villafranca, petite ville sur les bords du Tage. Nous restons dans les maisons de campagne qui l’entourent jusqu’au 28 octobre inclus.
Les majestueuses et riantes rives du Tage, les magnifiques maisons de campagne qui bordent ses bords enchanteurs, les jardins délicieux qui couvrent la plaine située entre la colline élevée et le fleuve, pleins d’orangers plantés régulièrement, de citronniers, de lauriers roses et d’autres arbres aussi intéressants ; les coteaux tapissés de vignes, de figuiers, d’oliviers, un ciel d’une beauté ravissante, une route magnifique, rendaient la position de Villafranca une des plus belles qu’il m’eût été donné d’admirer jusqu’alors. Ce beau pays me parut un séjour de délices,
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