Souvenir d'un officier de la grande armée
je perdis trois hommes, ils se retirèrent. Je les suivais de près et comptais passer la rivière après eux, mais je me trouvai devant un cours d’eau considérable, que je ne pus franchir. La nuit arrivait, le maréchal ne jugea pas à propos d’engager une affaire à une heure aussi avancée ; il me fit dire de bivouaquer un peu au-dessus du pont où j’étais et où je trouverais une route. Je m’y rendis ; je vis alors que l’obstacle qui m’avait arrêté était un amas d’eau artificiel, pour faire tourner un moulin.
26 mai. – Le matin, je pris la tête de la colonne et reçus directement les ordres du maréchal. Après deux heures de mouvement, le maréchal se décida à abandonner la vallée que nous suivions et se dirigea à gauche pour traverser la plaine d’Iauer. Il y eut quelques charges de cavalerie, qui furent repoussées, et on arriva ainsi sous les murs de la ville d’Iauer.
En traversant la ville, je butai contre un corps passablement gros, que je ramassai et emportai avec moi, ayant le pressentiment que ce pouvait être quelque chose de bon. En effet, c’était un énorme dindon, le plus gros que j’avais vu jusqu’alors. Plumé, vidé, troussé, renfermé dans une serviette et une musette de cavalerie, je l’annonçai à mes camarades, qui furent d’avis qu’on le mangerait le lendemain, tous ensembles, si, comme le bruit en courait, nous séjournions dans cette position.
Le 29, les officiers un peu cuisiniers se mirent à l’œuvre pour préparer le dîner projeté la veille ; les vivres ne manquaient pas, l’art n’y fit pas défaut. Nous fîmes, ce jour là, ce qui ne nous était pas arrivé depuis le passage du Rhin, un très bon repas, arrosé de vin de Moravie excellent, qu’on avait trouvé en ville. Les préparatifs, les difficultés à vaincre, le plaisir d’être réunis et de manger, tranquillement assis, les produits de nos connaissances culinaires, nous firent passer quelques heures agréables, moments rares à la guerre.
30 mai. – Nous restâmes à Eisendorf, qui est un village, près de Neumarckt, à attendre que fût signé l’armistice de Plessvitz, et le 6 juin commença notre mouvement rétrograde, pour aller occuper les positions que la Grande Armée devait prendre, pendant les cinquante jours de repos qui lui étaient accordés par l’armistice.
Le soir au bivouac, en avant de Neudorf, le voltigeur que j’avais proposé pour la décoration se rendit coupable de vol envers un de ses camarades. Soupçonné de ce crime, il fut fouillé, et trouvé nanti de l’objet volé. Les voltigeurs le saisirent, lui donnèrent la savate, et envoyèrent près de moi une députation pour qu’il fût chassé de la compagnie. J’étais retiré dans une maison à l’écart, ce qui fut cause que cette justice fut rendue à mon insu. Je m’y serais opposé, le vol, quoique prouvé, étant d’une très petite valeur. Mais le mal était fait, il fallait bien l’approuver tacitement, pour conserver dans la compagnie cette honorable susceptibilité. J’en rendis compte au commandant, et il fut convenu que si ce malheureux jeune homme était nommé légionnaire, son brevet serait renvoyé en expliquant les motifs.
7 juin. – Avant le départ de Neudorf, le général Joubert me donna l’ordre de me répandre, avec ma compagnie, dans tous les villages situés à une lieue et plus du flanc droit de la colonne, et d’enlever tous les bestiaux que je trouverais, pour les conduire à Gaadenberg, où je devais être rendu le 8 au soir.
Le 8, je rejoignis la division dans la soirée, longtemps après qu’elle avait établi ses bivouacs, avec quatre cents bœufs ou vaches, trois mille moutons, quelques chèvres, chevaux, etc. Le général Joubert fut enchanté de cette excursion ; le général Compans vint m’en faire compliment, et me dit de conduire mes prises au parc du corps d’armée. C’est tout ce que j’en eus, car si j’avais voulu faire de l’argent, je l’aurais pu sans difficulté, les propriétaires barons m’offrant de l’or pour leur laisser la moitié de ce que je leur prenais. Mais j’avais une mission de confiance à remplir, je le fis en conscience. Cependant, quand les voltigeurs m’amenaient des vaches appartenant à de pauvres gens qui venaient les réclamer, je les leur rendais. Dans une dépendance d’un très beau château, un général italien, un peu blessé, et qui s’y trouvait, voulut s’opposer à ma réquisition.
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