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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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« Je le veux bien, mon général, mais donnez-m’en l’ordre par écrit. » Il n’osa pas.
    Le 10 juin ma compagnie eut pour quartier une très grosse ferme isolée, où elle fut bien établie. Nous commencions à avoir un très grand besoin de repos. L’armée était extrêmement affaiblie par les combats de tous les jours, par les marches et les maladies, par les nombreuses mutilations, par les facilités que l’ennemi avait de faire des prisonniers, les soldats cherchant les moyens de se faire prendre. Elle avait aussi un besoin pressant d’effets d’habillement de linge et de chaussures, tout était à réparer et en grande partie à renouveler. Dès le lendemain, j’organisai des ateliers de tailleurs et de cordonniers pour les réparations. Il fallut s’occuper de guérir les maladies de peau, débarrasser les pauvres jeunes soldats de la vermine qui les rongeait, donner des soins aux maladies légères, envoyer à l’hôpital de Buntzlau les hommes les plus gravement atteints. Il fallut aussi s’occuper de l’armement, de la buffleterie, des mille détails qu’exige l’administration d’une compagnie.
    Mon sous-lieutenant blessé à Lutzen m’ayant rejoint, j’avais trois officiers avec moi. Nous couchions tous quatre dans une petite chambre, sur de la paille, mais cela valait mieux que le meilleur bivouac, car nous étions à couvert. Il y avait quarante-quatre nuits que je dormais à la belle étoile.
    Le 15 juin, le commandant reçut huit nominations de chevalier de la Légion d’honneur dont deux pour ma compagnie. Celle du voltigeur chassé de la compagnie était de ce nombre. Le même jour, elle fut renvoyée au général de brigade, accompagnée d’un rapport motivé. Le 17, un décret spécial, daté de Dresde, annulait cette nomination. La proposition, la nomination et l’annulation ne furent pas connues du malheureux intéressé, ni d’aucun des officiers du bataillon.
    Peu de jours après notre établissement dans ce village d’Ober-Thomaswald, un jeune parent, que j’avais amené de chez moi, après avoir montré beaucoup d’énergie et de courage dans cette guerre qui en exigeait plus que d’ordinaire, tomba malade. Je le gardai quelque temps près de moi, puis, son état s’aggravant, je le fis conduire à l’hôpital de Buntzlau, où il succomba. Cette mort me fut douloureuse et me fit bien regretter de l’avoir pris avec moi.
    Pendant l’armistice, le maréchal se fit présenter tous les hommes mutilés, le nombre en était très grand. C’était vraiment affligeant. Il y en avait plus de vingt mille dans le bataillon, et peut-être plus de 15 000 dans toute l’armée. Ils furent renvoyés sur les derrières, pour travailler aux fortifications, conduire les charrois, etc. Quand M. Larrey, chirurgien en chef de l’armée, assurait l’Empereur que le fait était faux, il le trompait sciemment. Il n’y avait pas un officier dans l’armée qui en doutât, car cela se passait pour ainsi dire sous leurs yeux. Cette déplorable monomanie datait déjà depuis longtemps, mais elle fut bien plus pratiquée dans cette terrible campagne. C’était un précurseur de nos futurs désastres.
    18 juillet. – L’armistice, qui devait finir le 20 juillet, fut prolongé jusqu’au 15 août. La fête de l’Empereur qui se célébrait ordinairement le 15 août fut rapprochée de cinq jours et fixée au 10. Pour lui donner tout l’éclat convenable, pour imposer à cette grande solennité un caractère en rapport avec les circonstances extraordinaires où la France et l’armée se trouvaient, de grands préparatifs furent faits à tous les quartiers généraux et dans tous les cantonnements.
    Le 10 août, le corps d’armée se réunit dans une vaste plaine et fut passé en revue par son chef, le maréchal duc de Raguse, qui, en grand costume, manteau, chapeau à la Henri IV, et bâton de maréchal à la main, passa devant le front de bandière de chaque corps. Après la revue, il y eut quelques grandes manœuvres et défilé général. Le corps d’armée, composé de trois divisions (Compans, Bonnet et Friederich), était remarquablement beau et plein d’enthousiasme. Sa force était de 27 000 hommes et de 82 pièces de canons.
    Après la revue, tous les officiers de la division se réunirent à Guadenberg pour assister à un grand dîner que le général de division donna dans le beau temple des protestants. On servit, sur un immense fer à cheval, trois chevreuils

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