Souvenir d'un officier de la grande armée
à écrire, mais demanderait de trop longues descriptions. Après avoir enlevé la position, nous jetâmes l’ennemi en désordre dans la forêt de Lœplitz, et nous y bivouaquâmes. J’avais eu huit hommes tués ou blessés, et moi-même, je reçus un coup de lance de cosaque, qui heureusement ne fit que m’effleurer l’épaule droite. Huit jours après, la compagnie reçut deux décorations, pour sa belle conduite dans cette journée.
Nous étions depuis deux jours au milieu des forêts impénétrables de la Bohême, et parfois, dans des gorges d’une profondeur et d’une sauvagerie remplies de terreur.
31 août. – Presque au jour, les Russes nous attaquèrent avec une violence qui nous surprit et qui contrastait avec leur conduite des jours précédents. D’abord vainqueur, nous les repoussâmes plus loin qu’ils ne se trouvaient le matin, jusqu’en vue de Lœplitz. Ramenés à notre tour, jusqu’à notre première position, nous y restâmes malgré tous les efforts qu’ils firent pour nous en chasser. Toute la division se battait en tirailleurs, sauf quelques réserves destinées à relever les compagnies trop fatiguées. À quatre heures du soir, je me retirai un instant du combat pour nettoyer mes armes ; elles étaient si encrassées que les balles n’entraient plus dans le canon. Je rentrai de nouveau en ligne jusqu’à la nuit.
Nous bivouaquâmes sur le même terrain de la veille, cruellement maltraités. Le bataillon avait eu plusieurs officiers tués ou blessés et près du tiers de ses soldats. Je comptais un officier et vingt-cinq hommes de moins dans mes rangs. Dans le milieu de la nuit, nous reçûmes l’ordre de faire de grands feux (le bois ne manquait pas) et de nous retirer ensuite en silence, sans tambours ni trompettes, par le même chemin que nous avions suivi les jours précédents.
La marche fut lente, dangereuse, dans ces chemins affreux où l’on ne voyait rien. À l’aube, du jour, nous arrivâmes sur le terrain de combat du 30. Nous y restâmes quelques instants, pour nous organiser et nous reposer, car nous en avions grand besoin.
C’est alors que nous apprîmes que le général Vandamme, commandant le 1 er corps d’armée, avait été complètement battu le 30, à Culm, pas bien loin de nous, sur notre gauche, mais si profondément séparé par des gorges affreuses et des bois si touffus, qu’on n’aurait pas pu lui porter secours. Cela nous expliqua l’acharnement du combat de la veille et notre mouvement de retraite.
2 septembre. – Depuis six jours, nous étions sans vivres. Je ne mangeai guère autre chose que des fraises et des myrtilles, qu’on trouvait abondamment dans les bois. Enfin, la cantinière de la compagnie, sur la voiture de laquelle j’avais des vivres, nous rejoignit. Cette misérable femme nous avait abandonnés, quand elle avait vu que nous entrions dans un pays si sauvage.
4 septembre. – Un décret de ce jour ordonne que sur dix hommes trouvés hors de leur corps, il en serait fusillé un. Cette mesure indique suffisamment combien la démoralisation est répandue dans l’armée.
10 septembre. – Au camp de baraque, devant Dresde, nous avons un repos de trois jours. Il me rétablit complètement. J’avais été bien mal, sans lâcher pied. Il fit aussi beaucoup de bien à l’armée qui, depuis vingt-quatre jours, était sur les chemins, de l’aube à la nuit.
Le 13, à Grossen-Hayn il se passa un événement qui me navra le cœur. Un pauvre soldat avait été condamné à mort pour un crime ou délit assez insignifiant. Conduit sur le terrain pour être fusillé et après avoir entendu la lecture de son jugement, il cria grâce et s’enfuit à toutes jambes. Il fut poursuivi à coups de fusil, et finit par être atteint. Une fois tombé, on l’acheva.
27 septembre. – Dans la nuit, on fut instruit que la cavalerie ennemie approchait et se disposait à attaquer la nôtre, qui, composée de jeunes soldats, n’était pas en mesure de pouvoir lui résister. Notre bataillon partit le premier pour prendre position à l’entrée d’un défilé, afin de protéger la retraite de la cavalerie. Je fus placé dans le cimetière d’un village que la route traversait. Je fis cacher mes hommes, et leur donnai la consigne de ne faire feu sur les cosaques que quand notre cavalerie serait entrée dans le village. Peu de temps après, je vis arriver notre mauvaise cavalerie dans un désordre effroyable, suivie d’une immense nuée de
Weitere Kostenlose Bücher