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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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de cadavres qu’on foulait aux pieds. Enfin je me trouvai de l’autre côté, porté par la masse des hommes qui se sauvaient. C’était une confusion qui faisait saigner le cœur.
    Une fois sur l’autre rive, je rencontrai le capitaine de grenadiers qui, comme moi, était sans soldats ; qui, comme moi, ne savait pas ce qu’était devenu le bataillon. Nous nous arrêtâmes sur le côté droit de la route, pour l’attendre. Nous pleurions de rage, de douleur ; nous versions des larmes de sang sur cet immense désastre. Moins de cinq minutes après nous être couchés sur l’herbe, car nous étions trop fatigués, trop malades au physique et au moral pour pouvoir nous tenir debout, le pont sauta et nous fûmes couverts de ses débris. C’était le dénouement de cette lugubre tragédie qui avait commencé le 17 août.
    Alors nous nous acheminâmes vers Langenau, où finissait cette chaussée étroite, construite artificiellement au-dessus des basses prairies inondées par l’Elster et ses affluents. Le désordre y était aussi grand que sur les promenades de Leipsick. Sortis enfin de cette étroite route, nous trouvâmes l’Empereur dans la plaine, à cheval (c’est la dernière fois que je l’ai vu), disant aux officiers qui passaient près de lui : « Ralliez vos soldats ! »
    Des poteaux, où étaient écrits en gros caractères les numéros des corps d’armée, indiquaient les chemins qu’on devait prendre. Arrivés à Markrunstedt, nous trouvâmes le bataillon, qui avait passé le pont avant nous. Cette rencontre inopinée me combla de joie. Je trouvai aussi mon domestique, qui avait sauvé mon cheval et mon portemanteau. Enfin un voltigeur, qui avait trouvé un cheval abandonné sur les boulevards de la ville et qui l’avait pris, me l’offrit, moyennant une petite indemnité. Ce beau cheval appartenait à un commissaire des guerres, d’après le contenu de son portemanteau, qui était très bien garni d’effets. Je les distribuai à ceux des officiers du bataillon qui avaient tout perdu dans cette épouvantable déroute. Les papiers furent conservés en cas de réclamation ; je les mis dans les fontes.
    Nous passâmes une partie de la nuit sur l’emplacement où je trouvai le bataillon ; mais avant le jour, l’ordre fut donné de se mettre en marche sans bruit et de se diriger sur Weissenfels.
    20 octobre. – Passé à Lutzen et sur une portion de ce célèbre champ de bataille que, près de sept mois auparavant, nous avions illustré par une brillante victoire. Les temps étaient bien changés.
    Nous passâmes la Saale à Weissenfels, et nous bivouaquâmes sur la rive gauche, près de la ville.
    Dans la matinée, étant sur mon cheval de la veille, je fus accosté par son propriétaire qui le réclama. Je lui fis observer que l’ayant abandonné il avait perdu tous ses droits à sa possession. Après bien des pourparlers, il me demanda son portemanteau : je lui dis l’usage que j’en avais fait et je lui remis ses papiers. Le soir, au bivouac, un caporal de ma compagnie, gravement blessé au pied, me pria, les larmes aux yeux, de lui donner ce cheval pour le porter à Mayence. Pour sauver ce malheureux soldat, qui avait bien fait son devoir pendant la campagne, je le lui donnai, à condition qu’il me le remettrait à Mayence. Je me condamnai à faire la route à pied pour lui être utile.
    Ayant passé l’Unstrut à Freybourg, non loin de Roosbach, sur un pont battu par l’artillerie ennemie, Barrès est envoyé à Erfurt pour prendre des effets d’habillement. Cependant, la retraite se poursuit, aggravée par le froid et la faim.
    Le 27 octobre, à Vach, la terre était couverte de neige. N’ayant ni bois pour nous chauffer, ni paille pour nous reposer, je m’étais réfugié, la nuit, dans une église. Au matin, mon fidèle domestique vint me dire d’arriver de suite pour manger un peu de soupe qu’il avait préparée. C’était une bonne fortune, car depuis plusieurs jours, je n’avais pas même de pommes de terre. En approchant du feu où il avait passé la nuit, je le vis qui pleurait de désespoir et de colère. Pendant le peu de temps qu’il avait mis pour venir me prévenir, on lui avait volé son pot et les seules provisions qu’il avait pu se procurer en courant une partie de la nuit pour les trouver. Son chagrin me toucha, car c’était par intérêt pour moi qu’il était si désolé.
    Dans la matinée du 30, je fus témoin d’un événement qui

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