Spartacus
oublie qu’on n’est rien, seulement un infâme auquel un maître concède un peu de vie.
Curius est maintenant derrière ses hommes.
— Votre vie sera encore plus courte si vous désobéissez. Votre mort sera celle des rats ! lance-t-il.
Il marche vers les quatre gladiateurs blessés qu’on aide à se remettre debout et dont les corps ruissellent de l’eau dont on vient de les asperger. Curius leur fait remettre des glaives et des tridents.
Deux hommes ouvrent les portails. La lumière et les hurlements de la foule jaillissent, emplissent les salles souterraines, recouvrent la masse sombre des gladiateurs qui, éblouis, cherchent à distinguer les blessés qu’on pousse dans l’arène.
Jaïr entend le rugissement des fauves.
Les chacals de Lentulus Balatius reculent, leurs javelots et leurs glaives toujours tendus.
Les gladiateurs avancent au fur et à mesure, se redressent cependant qu’on referme les portes, que la pénombre à nouveau s’étend, que les cris déferlent par les soupiraux.
Le Juif suit Spartacus qui s’approche de l’une des ouvertures et se hisse en s’accrochant aux barreaux. Jaïr l’imite.
Il aperçoit un instant la loge des patriciens et des magistrats de la ville, puis des jets de sable la masquent.
Il devine un corps ensanglanté. Il ferme les yeux, se laisse glisser, se refusant à en voir davantage. Mais il entend les rugissements de la foule et ceux des fauves qui se mêlent et se confondent.
Jaïr reste accroupi, appuyé contre le mur. Spartacus s’assoit près de lui dans la pénombre, alors que la lumière grisâtre éclaire les autres gladiateurs auxquels Curius a fait distribuer des amphores de vin.
Les hommes boivent, tête renversée, yeux mi-clos, offrant leur gorge, et le vin qui glisse au coin de leur bouche a la couleur du sang.
— Plus jamais je ne tuerai un de mes frères, murmure Spartacus.
Il serre les poings, les brandit.
20
Apollonia s’agenouille devant Spartacus. Elle lui saisit les poings, les embrasse, le force à déplier les doigts, à ouvrir les mains. Elle pose les lèvres au creux de ses paumes.
Le Parthe est assis à même le sol dans la cella qu’il occupe à l’extrémité des bâtiments du ludus, là où Lentulus Balatius loge les gladiateurs qui ont déjà combattu et vaincu, dont on commence à connaître les noms à Capoue et qu’il faut soigner comme des animaux de prix pour qu’ils animent les prochains jeux : alors les crieurs se répandront sur les rives du Vultume, sur les places et les marchés de Capoue en annonçant que Crixos le Gaulois, Œnomaus le Germain, Vindex le Phrygien et Spartacus le Thrace entreront ensemble dans l’arène et auront en face d’eux cinq paires de gladiateurs pour un combat à mort. Les survivants affronteront les fauves. Les jeux se dérouleront du milieu de la journée à la nuit. Et, s’il le faut, on les prolongera à la lueur des torches. Du vin et du pain seront distribués aux spectateurs de par la volonté du préteur Claudius Glaber, venu de Rome assister aux jeux du plus grand des lanistes de toute la République, Cnaeus Lentulus Balatius !
Apollonia replie les doigts de Spartacus, l’oblige ainsi à serrer les poings. Elle les rapproche, les emprisonne entre ses mains. Elle les embrasse, les lèche. Elle geint. Elle raconte dans un murmure, la tête penchée, les poings de Spartacus contre ses lèvres.
Elle s’est glissée, dit-elle, dans la salle où se tiennent les chacals de Lentulus Balatius. Ils buvaient. Elle a dansé pour eux. Elle a entendu Curius, le maître d’armes, répéter qu’il avait reçu l’ordre de Lentulus Balatius de trancher, avant les prochains jeux, les poings de Spartacus le Thrace.
Elle s’interrompt. Elle embrasse les poings de Spartacus, lui ouvre les mains, lui baise chaque doigt.
— Tes poings ! gémit-elle.
Il les ferme, les brandit. Tout son corps s’est tendu, durci. Il dit qu’il combattra avec ses mains, en homme libre, et qu’il tuera Curius. Qu’il faudra dix chacals pour le terrasser. Et ce n’est que mort qu’il pliera les genoux.
— Jamais mes mains ! dit-il, les dents serrées.
Apollonia l’enlace.
— Curius a bu, reprend-elle. Il a dit qu’il devait obéir à Lentulus Balatius, que ceux qui se rebellaient contre le maître du Ludus devenaient un morceau de chair avariée bonne à jeter aux fauves. Pas aux lions, mais aux hyènes et aux chacals !
Apollonia s’était approchée de
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