Spartacus
Balatius.
Il empoigne le bras du maître d’armes.
— Tu les entends ?
D’un hochement de tête, il montre les gradins de l’arène qu’on aperçoit par les soupiraux. La foule est debout, elle crie et gesticule.
— Curius, qu’ils se battent à nouveau !
— Ils ont déjà vaincu, répète le maître d’armes.
— Tu les entends ? Le préteur m’a payé cher pour ces jeux.
Il hausse la voix.
— Je vous gave de viande et de vin, je vous livre des femmes. Vous avez une vie de patricien, vous, les infâmes, qui n’êtes rien. Mais il faut se battre. C’est le prix !
Il dévisage les gladiateurs, les fixe jusqu’à ce que la plupart baissent les yeux.
— Les blessés, dans l’arène, avec des tridents et des glaives, tout de suite ! reprend-il. Fais-les porter, jette-les dedans s’il le faut, Curius ! Maintenant ! Qu’on les asperge d’eau froide ! On se souviendra, à Capoue, des gladiateurs du ludus de Balatius, ajoute-t-il. Un jour, je vous ferai combattre à Rome !
Il se retire lentement.
— Aux bêtes, aux bêtes ! répète-t-il. Qu’ils affrontent mes fauves !
Spartacus se lève, les gladiateurs l’entourent. Ils sont plusieurs dizaines, peut-être deux cents. Ils grondent. Mais Spartacus est le seul à dresser le poing.
19
Les visages des gladiateurs s’estompent dans la pénombre des salles souterraines.
On ne voit que des épaules, des bras, des torses, le haut des cuisses. Chargée de poussière, la lumière qui tombe des soupiraux tranche ainsi les corps.
Jaïr le Juif est au centre de cette masse mutilée qui tressaille, se porte en avant, et il résiste à la poussée, puis reflue sous les voûtes, écoute les cris qui tombent des gradins, entend les rugissements des fauves, le martèlement de leurs pattes alors qu’ils tournent dans les salles voisines, attendant qu’on leur ouvre les portes pour bondir dans l’arène et s’y repaître de chair humaine.
À quelques pas devant lui, Jaïr voit les pointes des javelots et des glaives, les boucliers des hommes d’armes, ces chacals dévoués à Lentulus Balatius.
Ils se tiennent jambes écartées, lames et lances tendues, herse de métal contenant la masse des gladiateurs qu’ils refoulent peu à peu sous les voûtes, dans les recoins, là où l’on ne peut se tenir debout. Et les gladiateurs s’accroupissent.
Jaïr sent les peaux huileuses. Dans l’obscurité plus dense, il devine les gantelets, les pièces d’armure, les cuirs et les anneaux des gilets. Il s’appuie contre la hanche et l’épaule de Spartacus, effleure le bras de Crixos le Gaulois. Les deux mains lourdes d’Œnomaus pèsent sur ses épaules.
Il voit s’avancer Curius, le maître d’armes du ludus. D’un geste, celui-ci a arrêté ses chacals qui s’ébranlaient derrière lui ; il ne reste presque plus d’espace aux deux cents gladiateurs sans arme ni bouclier, la gorge et la poitrine nues.
— Qu’est-ce que vous voulez ? leur crie Curius. Que je vous crève comme des rats ?
Il fait encore un pas.
Jaïr le Juif sent que tout le corps de Spartacus tremble. Le Thrace est tenté de sauter à la gorge de Curius ; puis les autres gladiateurs s’élanceraient à leur tour. Les chacals seraient certes vainqueurs, mais quelques-uns d’entre eux, et d’abord Curius, auraient eu le corps lacéré à coups de dents et de griffes.
Jaïr le Juif pose la main sur la cuisse de Spartacus. Il appuie, serre jusqu’à ce que le tremblement de Spartacus cesse.
Curius a reculé.
— Vous avez entendu Lentulus Balatius ? Ce qu’il veut, ce qu’il ordonne est notre loi. Si vous vous dressez contre lui, vous êtes des rats et mourrez comme des rats. Vous n’êtes des hommes qu’en combattant pour lui. Il vous a achetés. Il vous entraîne. Il vous nourrit. Il vous donne une chance de survivre. De connaître une belle vie en attendant la mort à laquelle nul ne peut échapper. Vous préféreriez ramper dans une galerie de mine, ou sécher au soleil dans un champ de blé ? Grâce à lui, vous vivez et mourrez en guerriers.
Curius revient sur ses pas, heurte de son bouclier le corps de Spartacus.
— Toi, le Thrace, murmure-t-il, tu as levé le poing. Tu sais que Lentulus Balatius n’oublie rien. Un jour il te fera lier les mains, comme il l’a fait avec Gaëlus le Celte. Ou, mieux – Curius recule –, il te fera trancher les poings et te poussera dans l’arène. Voilà ce qu’on gagne, quand on
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