Spartacus
puniront le premier.
Il lève les mains au-dessus de sa tête.
— Curius l’a dit, Vacerra l’a répété en criant dans le ludus : ils commenceront par toi, Spartacus. Ils te trancheront les poignets. Et, plus tard, ce seront les nôtres. Que veux-tu que nous fassions ?
Vindex le Phrygien se dresse sur la pointe des pieds. Ainsi, lui qui est déjà d’une haute stature domine des épaules et de la tête les gladiateurs qui se sont agglutinés dans le couloir devant la cella de Spartacus.
Ils sont plusieurs dizaines dont l’obscurité mêle les corps et les visages, créant un magma noirâtre d’où s’élèvent un murmure et des bribes de phrases qui résonnent tout à coup, renvoyées par les cloisons. Ce sont presque des plaintes, des supplications.
L’une des voix dit que Lentulus Balatius ne pourra pas tous les tuer. Il a besoin de ses gladiateurs pour ses jeux. Que penseraient les spectateurs et les patriciens de Capoue si Balatius n’offrait que des combats entre manchots ? « Il faudra bien qu’il laisse leurs mains à la plupart et qu’il nous rende les armes s’il veut que nous combattions. Rentrons dans nos cella et attendons ! »
Une autre voix crie que Lentulus Balatius les livrera tous aux fauves dès qu’il aura acheté au marché aux esclaves, à Rome, de quoi constituer une nouvelle gladiature.
— Ces combattants-là, nous ne les connaîtrons pas. Ils nous laisseront jeter dans l’arène comme nous avons laissé dévorer les gladiateurs blessés. Chacun n’a qu’une vie ! glapit la voix sur un ton plus aigu encore. À chacun de la défendre. Que l’autre crève, si moi je survis !
— Aucun de vous ne survivra ! lance Apollonia.
Elle a bondi hors de l’ombre. Elle s’est accrochée au cou de Crixos et d’Œnomaus. Elle s’agrippe à leurs corps, se juche sur leurs épaules.
— Dionysos me dit que nous devons fuir dès cette nuit, que les chacals nous égorgeront ou nous mutileront à l’aube, que Lentulus Balatius en a décidé ainsi. C’est Vacerra qu’il a chargé de nettoyer le ludus. Puis on traînera nos corps dans l’arène et les fauves seront lâchés. Ils achèveront la besogne. Ainsi s’ouvriront les nouveaux jeux de Capoue. Il y aura du sang, du carnage pour tous. Après le festin des fauves, on poussera Curius et quelques chacals dans l’arène. Et il faudra bien qu’ils se battent !
Cambrée, prenant appui sur la tête de Crixos et d’Œnomaus, Apollonia répète :
— Il faut fuir dès cette nuit, dès maintenant !
Elle se laisse glisser le long des corps des deux gladiateurs. Il y a un instant de silence, puis, tout à coup, la voix de Vindex le Phrygien retentit :
— Fuir où ? Nous sommes nus. On nous pourchassera comme on traque les loups. Nous serons pris. Heureux ceux qu’on aura tués ! On écorchera les autres au fouet. On les crucifiera.
Spartacus fait un pas en avant, prend Vindex aux épaules, le secoue.
— Que ceux qui veulent se laisser égorger ou mutiler restent ici, dit-il. Que les autres qui ne craignent pas de mourir en loups viennent avec moi !
Il repousse Vindex, Crixos, Œnomaus.
Les autres gladiateurs s’écartent, le laissent s’engager dans le couloir. Apollonia et Jaïr le suivent, et, derrière eux, on se précipite, poings levés, cependant que quelques gladiateurs se collent contre les cloisons, laissent passer ce flux de plusieurs dizaines d’hommes, puis regagnent leur cella, tête baissée, se retournant souvent, se ravisant parfois – et alors quelques-uns d’entre eux rejoignent le groupe qui, guidé par Spartacus, a gagné les portes du ludus donnant sur les rives du Vultume.
On heurte les battants de l’épaule et du pied, on soulève les poutres qui les bloquent, on les enfonce, on les ouvre enfin, et, tout à coup, c’est la brise blanche de la nuit lunaire qui s’engouffre dans le ludus en même temps que la rumeur des eaux du Vultume qui coulent en contrebas.
Brusquement, un homme se dresse, bras écartés, devant Spartacus.
Il crie que les gladiateurs doivent rentrer dans le ludus, qu’ils sauveront ainsi leur vie, que lui, Curius, ne rapportera rien à Lentulus Balatius de cette tentative de fuite, de cette révolte, qu’il est encore temps de renoncer, que fuir revient à se précipiter dans un abîme : on ne peut plus s’accrocher à la paroi, on s’y fracasse les os, on s’y écrase, on n’est plus qu’une chair pantelante bonne à
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