Spartacus
Curius. Elle l’avait caressé. Elle lui avait rappelé qu’elle était prêtresse de Dionysos, devineresse. Il l’avait entraînée dans sa cella. Là, il avait encore bu, crié qu’un gladiateur devait entrer dans l’arène avec ses mains et ses armes. Un maître d’armes n’était pas un boucher qui dépèce la viande avant de la livrer. Lui, Curius, était un homme libre, chargé d’apprendre aux gladiateurs à défendre leur vie comme des guerriers. Couper les poings d’un homme avant qu’il ait combattu était la tâche d’un bourreau, non la sienne à lui, Curius. Il avait tranché des bras, crevé des yeux, mais c’étaient ceux des Barbares après avoir remporté la victoire et parce qu’il fallait punir ceux qui avaient osé défier les légions et renvoyer les vaincus dans leurs tribus pour que leurs corps mutilés montrent à tout leur peuple la force terrible de Rome.
— Curius ne veut pas, murmure Apollonia, mais il a peur. Il a bu et vomi toute la nuit. S’il ne te tranche pas les poings, ce sont les siens que Lentulus Balatius fera couper. Ils sont plusieurs, parmi les chacals, à vouloir chasser Curius du ludus, le jeter dans l’arène pour prendre sa place. Il le sait, il se méfie d’un Espagnol au poitrail et au cuir noirs de taureau. Je l’ai vu, Spartacus. Il m’a touchée. Il se nomme Vacerra. Il n’a pas besoin d’arme pour tuer. Il a des mains d’étrangleur, ses doigts sont des tiges de fer. Il m’a serré le cou. J’ai senti ses ongles s’enfoncer dans ma nuque. « J’arrache ta langue si tu parles », m’a-t-il dit.
Elle se tait quelques instants, soupire, puis ajoute que Dionysos lui a appris à apaiser les taureaux, et qu’elle a su calmer Vacerra.
— Lui te coupera les poings aussi bien que ceux de Curius. Il deviendra maître d’armes et le ludus de Lentulus Balatius ne sera plus qu’une boucherie.
Spartacus se lève, cherche à dénouer les bras d’Apollonia. Mais elle lui enlace les cuisses, la bouche plaquée sur son sexe.
— Avec ces mêmes poings je vais les tuer, gronde Spartacus.
Apollonia secoue la tête.
— Tu seras seul, sans arme, tu n’auras même pas le temps de lever et d’abattre les poings qu’ils t’auront crevé le ventre et ouvert la gorge. Et ils te jetteront aux fauves.
Elle presse ses lèvres sur le sexe de Spartacus.
— Dionysos ne veut pas que tu meures, murmure-t-elle. N’oublie pas le serpent qui enveloppait ton visage, la puissance d’un prince que ce songe t’annonçait.
Le corps d’Apollonia s’est mis à trembler.
— Je suis la voix, la chair de Dionysos. Elles te donnent la force et te montrent le chemin.
Spartacus s’immobilise, les doigts plongés dans les cheveux d’Apollonia.
— Que dit Dionysos ? questionne-t-il.
Apollonia prend le sexe du Thrace dans sa bouche.
Le corps de Spartacus s’arque comme si une force irrépressible lui prenait les reins. Il sent la sève de la puissance monter en lui, un feu d’or fondu se répand le long de ses jambes, de ses cuisses, dans son ventre et jusque son membre.
Apollonia se redresse enfin.
— Il faut fuir dès cette nuit, dit-elle.
Elle sort de la cella et Spartacus entend ses pas courir dans le couloir, sa voix réveiller les autres gladiateurs.
21
Les gladiateurs sont entrés dans la cella de Spartacus, tendant vers lui leurs mains ouvertes.
Ils sont sans arme.
Ils se pressent les uns contre les autres dans la petite pièce, ne quittant pas le Thrace des yeux. Il est debout, bras croisés. Jaïr le Juif se tient près de lui. On devine à peine, dans la pénombre, le corps d’Apollonia adossé au mur du fond.
Vindex le Phrygien s’avance, écarte Crixos le Gaulois et Œnomaus le Germain. Il dit qu’il a vu au début de la nuit Vacerra le chacal, l’œil et l’oreille de Lentulus Balatius, faire enlever par des esclaves toutes les armes entreposées dans le ludus.
Vindex porte la main gauche à son cou cependant qu’il pose la droite sur sa poitrine, doigts écartés, comme s’il voulait ainsi se protéger la gorge et le cœur, ou comme s’il sentait déjà les blessures que javelots et glaives allaient lui infliger.
— Nous sommes nus, remontre-t-il. Que veux-tu que nous fassions ? Vacerra n’a même pas laissé les pieux d’entraînement ni les filets. Nos mains sont vides. Ils nous tueront quand ils voudront, ou bien ils nous livreront aux fauves. Ils choisiront parmi nous celui qu’ils
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