Spartacus
ensanglantés.
— Ils ont des armes, explique-t-il. Des esclaves se sont joints à eux après avoir coupé les arbres fruitiers, saigné les bœufs. Ils étaient comme fous. Les miliciens se sont enfuis. Le tribun Amillus et moi…
Lentulus Balatius repousse Vacerra.
— Rentre au ludus, gronde-t-il en se rasseyant lourdement. Tu seras mon maître d’armes.
Le préteur Claudius Glaber fait un signe, invitant Vacerra à s’approcher.
— Raconte-moi, lui dit-il.
23
Illustres et Vénérés Sénateurs,
Moi, Claudius Glaber, préteur de la République, en visite à Capoue afin d’y rendre en votre nom la Justice, je lance un cri d’alarme.
Depuis plusieurs jours, un vent mauvais souffle sur cette province. Des gladiateurs ont fui le ludus du laniste Cnaeus Lentulus Balatius. Ils n’étaient que soixante et treize, sans armes, mais ils s’en sont procuré et des esclaves travaillant dans les champs se sont joints à eux.
Ils ont marché vers le mont Vésuve et personne, pour l'heure, n’a pu les arrêter.
Après avoir quitté les bâtiments du ludus, sur les rives du Vulturne, avec la complicité du maître d’armes, un gladiateur libre, ils ont dévalisé une rôtisserie située aux abords de l’amphithéâtre de Capoue.
Ils se sont ainsi emparés de coutelas et de broches, ainsi que de victuailles.
Le laniste, Cnaeus Lentulus Balatius, averti de cette rébellion et de cette fuite, a obtenu des magistrats de la ville qu’ils lancent la milice de Capoue à la poursuite de ces infâmes esclaves.
Consulté par Balatius et les magistrats, j’ai approuvé cette décision. La milice, composée de trois cents hommes sous les ordres du tribun Amillus, s’est donc rassemblée dans la nuit même et a quitté Capoue à l'aube, chacun étant persuadé qu’avant la fin de la journée Amillus et ses miliciens ramèneraient, enchaînés, les fugitifs.
Le laniste Balatius songeait déjà à des jeux livrant ses gladiateurs rebelles à ses lions.
Je connais trop les bêtes sauvages que sont les esclaves pour avoir cru à cette fin rapide et heureuse de ce qui est, j’en exprime la crainte, un début d’incendie.
Ma famille garde encore le souvenir des guerres serviles qui ont ensanglanté la Sicile, détruit les plus beaux de nos greniers et de nos celliers, et tué bien des nôtres.
Un esclave qui rompt le licol devient un fauve. Et pis encore s’il est un gladiateur qui sait se battre et mourir.
En quelques jours à peine, les fuyards du ludus de Capoue ont montré qu’ils étaient aussi néfastes qu’une armée barbare. Et ils ne sont encore qu’une centaine.
En recueillant les récits de ceux qui les ont en vain poursuivis et traqués, j’ai pu reconstituer leur marche.
Armés des broches et des coutelas en provenance de la rôtisserie, la panse remplie de viande et de vin, ils se sont donc dirigés vers le Vésuve, abattant ici et là les arbres fruitiers, mettant le feu aux greniers, saccageant les champs de blé.
Ils semblent s’être concilié les dieux.
Une prêtresse de Dionysos, la compagne de l’un des chefs qu'ils se sont donnés, un guerrier thrace qui fut soldat auxiliaire de la République et dont le nom est Spartacus, marche à leur tête, chante et danse.
Elle a conduit la bande sur l’un des chemins qui mène au port de Cumes et qu’empruntent de nombreux convois.
Ces gladiateurs ont ainsi pu dévaliser plusieurs chariots remplis d’armes destinées au ludus de Capoue et fabriquées en Sicile. Ils ont donc disposé de tridents, de filets, d’épées courbes : équipements de gladiateurs, mais, entre leurs mains, armes redoutables.
Les miliciens de Capoue ont pu le mesurer plus tard, quand ils ont affronté les fuyards.
Le tribun Amillus, que j’ai vu blessé et humilié, m’a fait le récit de ce combat.
Les miliciens étaient trois fois plus nombreux que les esclaves, mais ceux-ci ont rugi comme des bêtes sauvages et mis en fuite la plupart des miliciens qui ont abandonné leurs armes. Seuls une poignée d’entre eux, dont le tribun, ont résisté. Amillus m’a dit sa surprise de voir ces esclaves obéir au Thrace Spartacus comme des soldats, et rompre le combat en emportant les armes des miliciens sans s’attarder à tenter de tuer ceux qui, comme lui, Amillus, continuaient à se battre.
Avec de l’effroi dans les yeux, le tribun de la milice de Capoue m’a répété que ce Spartacus était un chef de guerre déterminé,
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