Spartacus
blé, les vignobles leur ont dit qu’elles avaient quitté Capoue – la nouvelle s’en était répandue de domaine en domaine, d’esclave à esclave : un cri, des chuchotements avaient suffi.
Au pied du mont, un berger leur a montré la plaine qui se prolonge jusqu’à Capoue :
— Ils sont trois mille fantassins, leur a-t-il dit. C’est le préteur Claudius Glaber qui les commande. Parmi les soldats, il y a aussi les gardes du corps du ludus de Lentulus Balatius. On dit que le laniste a déjà annoncé qu’il offrirait bientôt aux citoyens de Capoue des jeux tels que personne n’en aura encore jamais vu de semblables. Il fera combattre, dit-il, les gladiateurs qui, par lâcheté, trahissant leur maître, se sont enfuis, et qui seront bien contraints à faire preuve de courage. Il crèvera les yeux aux uns, tranchera les membres aux autres ; ce sera un combat de bêtes sauvages, quand, blessées, elles deviennent folles furieuses de douleur.
Le berger les a guidés sur les pentes du mont Vésuve ; là, il leur a indiqué qu’au-dessous de la demeure des dieux qui vivaient là-haut, au sommet, et parfois grondaient, faisant trembler la terre, il existait une étendue plate, large comme une main de géant.
On ne pouvait accéder à ce plateau que par un seul défilé, si étroit qu’un homme pouvait à peine y passer de face. C’était le plateau des hommes libres, là où les esclaves de la province se réfugiaient et où personne ne pouvait venir les chercher, puisqu’il suffisait d’une fronde et d’une pierre bien ajustée pour tuer quiconque s’aventurait dans le défilé.
— Sur cette terre grise pousse la vigne sauvage. L’esclave y vaut l’homme libre, leur a encore dit le berger.
Il a montré ce plateau qui dessinait comme une marche d’escalier. Des falaises l’encadraient, le rendant inaccessible. Le passage qui permettait d’y accéder avait en effet à peine la largeur d’un homme.
Ils s’engagèrent l’un après l’autre derrière le berger.
D’abord Apollonia, parce qu’elle était la prêtresse de Dionysos et que le mont Vésuve était la demeure du dieu.
Puis Spartacus, parce que les gladiateurs en avaient décidé ainsi, tendant le bras vers lui, répétant tous ensemble : « Toi, le Thrace, toi d’abord. »
Après quoi ils désignèrent Crixos le Gaulois, puis Œnomaus le Germain, enfin Vindex le Phrygien.
Ils hésitèrent et l’un d’eux montra Jaïr le guérisseur. Il y eut alors des murmures, mais on le poussa vers le défilé et il le franchit après les quatre chefs.
Ensuite les gladiateurs se retournèrent et l’un d’eux s’approcha de Curius, le maître d’armes du ludus :
— Toi, tu passeras le dernier.
Ils ont ainsi atteint ce plateau et Spartacus a placé cinq hommes à la sortie du défilé. Ils devaient tuer quiconque essaierait de le franchir.
Puis il a ordonné qu’on roule des blocs de façon à l’obstruer davantage encore.
Et l’attente a commencé.
Ils avaient faim. Ils ont mâchonné les grains de raisin aigres et verts, les feuilles de vigne sauvage ; ils ont déterré des racines et cherché à capturer sur les pentes qui s’élevaient vers le sommet du mont Vésuve des petits animaux aussi gris que la cendre et qui couraient s’enfouir dans leurs terriers. Ils les ont débusqués avec des pieux, des javelots, des lances ; ils les ont tués en écrasant leurs museaux de rat aux yeux rouges. Puis ils se sont partagés cette viande coriace qu’ils ont dévorée crue.
Car ils n’ont pu allumer de feu.
Ils ont aussi guetté les oiseaux qui nichaient dans les anfractuosités des falaises. Ils ont mangé des serpents, de grosses araignées.
Certains – des gladiateurs italiens pour la plupart – ont entouré Spartacus, lui reprochant de les avoir conduits sur ce plateau, au flanc de ce mont Vésuve qui était une montagne maudite ; ils ont déclaré qu’ils allaient redescendre dans la plaine, qu’on y trouverait des fruits, de l’orge, des villas à piller, de la viande et des femmes.
Ils se sont tournés vers Apollonia, disant qu’ils ne s’étaient pas enfuis du ludus de Capoue pour subir à nouveau l’injustice puisque certains, comme Spartacus, avaient des femmes, et eux non.
Apollonia s’est avancée. Elle a ouvert sa tunique et crié :
— Que celui qui me veut me prenne !
Mais aucun de ceux qui avaient protesté n’a osé la toucher. Spartacus a montré le défilé
Weitere Kostenlose Bücher