Spartacus
répétait que le mont serait notre Vésuve. Il disait qu’il ferait ce que tu avais fait. Ceux qui avaient été avec toi montaient en courant, cherchant l’étroit passage par où se glisser, qu’il leur serait ensuite facile de défendre.
Tadix retire ses mains des épaules de Spartacus et laisse pesamment retomber ses bras.
— La plupart sont morts sur les pentes avant d’atteindre le sommet. J’ai vu Crixos se battre comme un Gaulois, tenant son glaive à deux mains. Il a continué à se défendre alors qu’il était à genoux, un javelot fiché dans sa cuisse. Ils étaient dix, vingt contre lui. Ils ont fait de son corps un tronc sans branche et sans tête. Je suis resté le dernier de ces vingt mille que tu as vus partir. Souviens-toi de tous ces visages que tu as tenu à regarder un à un sur le chemin, tu te souviens, Spartacus ? J’ai reculé jusqu’au bord de la falaise et j’ai sauté pour mourir de ma propre volonté. Mais les fonds de la mer ne m’ont pas retenu et les courants m’ont entraîné. Puis j’ai rejoint le rivage et j’ai marché. J’ai vu seulement des morts que les loups et les oiseaux se disputaient. Je me suis dirigé vers le nord, quittant la plaine, suivant les crêtes. Dans cette forêt, j’ai aperçu Apollonia. Là où elle est, tu es.
Il chancelle. Spartacus le retient, lui saisit les poignets, l’attire contre lui pour qu’il y trouve un appui. Mais Tadix le géant se redresse et s’écarte.
— Je suis avec toi, Spartacus ! J’ai la force d’Œnomaus, de Vindex, de Crixos et des vingt mille qui sont morts.
Il serre et brandit le poing.
— Donne-moi une arme.
Spartacus lui tend son propre glaive.
41
Son glaive à demi levé, Tadix le géant marche lentement entre les Romains agenouillés, serrés épaule contre épaule.
La pointe et le tranchant de la lame frôlent leurs visages.
D’un coup de pied, il écarte les corps nus, se fraie un passage entre eux et souvent, du poing, fauche et frappe l’un des prisonniers à la tempe. L’homme vacille, parfois s’abat, mais, le plus souvent, se redresse, soutenu par ceux qui l’entourent.
Tous baissent la tête comme s’ils attendaient que la lame leur brise la nuque, leur tranche le cou. Mais, toujours de la main gauche, Tadix leur empoigne les cheveux et les oblige à redresser la tête.
Il se penche, scrute leurs traits, puis les repousse d’une gifle violente, et souvent le sang jaillit de leurs lèvres éclatées, de leur nez brisé.
Des cris s’élèvent alors de la foule des esclaves qui entourent ce champ où les Romains survivants ont été rassemblés après la bataille sur ordre de Spartacus.
— Qu’on les garde vivants ! a lancé le Thrace en apercevant les prisonniers, des soldats de la VII e Légion que les gladiateurs commençaient à égorger après les avoir dépouillés de leurs armes, de leur casque et de leur tunique.
Plusieurs des esclaves ont paru ne pas entendre, glaives et poignards ont continué de frapper.
Cela faisait plus de deux semaines qu’on craignait d’avoir un jour à s’agenouiller, à offrir soi-même sa gorge et sa nuque aux Romains.
On avait suivi Spartacus, mais on n’avait pas cru à ce qu’il promettait : la victoire sur ces six légions qu’on attaquerait par surprise l’une après l’autre.
On avait eu le sentiment de fuir, longeant la nuit les crêtes, se cachant le jour dans les forêts ou les grottes, remontant les torrents, s’enfonçant dans la boue alors qu’à quelques centaines de pas battaient les tambours des légions marchant vers le nord, persuadées que Spartacus avait pris cette direction.
Mais où allait-on ?
Le troupeau le suivait, pensant, en regardant les étoiles, se diriger en effet vers la Cisalpine, mais, la nuit suivante, on marchait à nouveau vers la Campanie, vers Capoue et Cumes. On entrait en Apulie. On retrouvait les forêts qu’on avait quittées depuis plusieurs jours.
Les plaines de Campanie et d’Apulie étaient désertes, les légions ayant gagné le Nord, imaginant que se trouvait là-bas le troupeau de Spartacus. Et, maintenant, on apercevait les chariots des arrière-gardes des légions dont les consuls, les préteurs, les légats et les tribuns croyaient nous poursuivre. Ils faisaient forcer le pas à leurs troupes, laissant leurs chariots sans protection.
Et c’est alors, au cœur de la nuit, que Spartacus donnait le signal de l’assaut.
On avait battu les légions
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