Spartacus
survivra.
— Les dieux et Spartacus décideront, a répondu Curius.
J’ai survécu à cette journée et à cette nuit rougies par le sang de quatre cents Romains.
Ils se sont battus d’abord pour saisir l’une des armes entassées au coin du champ, et beaucoup sont morts dès ce premier instant, leur corps tombant sur les glaives, les lances, les pieux et les poignards, d’autres les poussant pour s’emparer des armes qui restaient.
Ce ne fut à aucun moment un combat réglé de gladiateurs, mais une mêlée acharnée voulue à leur image par les esclaves.
La foule hurlait, lançait des pierres, cependant que les combattants oubliaient qu’ils étaient des hommes et se changeaient en bêtes.
Chacun cherchait à tuer sans se soucier de savoir s’il frappait l’adversaire désigné par Curius. On s’acharnait à plusieurs sur le même homme, puis on se retournait et on se battait contre celui qui vous avait aidé à tuer.
Quand il ne restait plus qu’un homme debout, la foule criait pour qu’on fit entrer dans le champ la vingtaine de paires suivantes. Et le survivant de la première série, déjà couvert de sang, épuisé et blessé, était le premier abattu. Puis le carnage recommençait.
Quand les combattants ont été enveloppés par la pénombre du crépuscule, Spartacus a ordonné qu’on allume en lisière du champ de grands feux. Dans la foule, on a brandi des torches ; parfois on les a lancées sur les groupes de combattants.
Certains de ceux-ci ont essayé de fuir, de se frayer un passage parmi les esclaves. Ils n’ont pu faire que quelques pas, leurs corps transpercés vite ensevelis sous ceux des esclaves qui s’acharnaient sur eux, rejetant ce qu’il en restait au milieu du champ.
Dans leur combat qui parfois se transformait en poursuite, des combattants étaient précipités dans les flammes et on les voyait gesticuler, on les entendait hurler quelques brefs instants.
Enfin, alors que l’aube bleuissait le ciel, un homme est resté seul parmi les cadavres. Spartacus s’est approché de nous et a poussé Sabinius vers le survivant.
— À toi, Sabinius, montre-nous ce qu’est le courage d’un tribun !
Calvicius Sabinius – que les dieux ferment les yeux et ne l’accablent pas, que les citoyens de Rome oublient ce tribun que j’ai vu tant de fois s’élancer le premier dans la bataille à la tête de la VII e Légion – a été, ce matin-là, comme un mouton affolé, courant dans ce champ au milieu des morts, dans l’odeur fade du sang répandu ; les hommes en armes qui contenaient la foule des esclaves l’y repoussaient de la pointe de leurs javelots ou de leurs glaives.
Était-il déjà mort quand les femelles furieuses ont réussi à s’emparer de son corps, à se jeter sur lui, à l’écorcher, à le dépecer, à lancer en l’air ses membres, sa tête et son tronc ?
Puis, se tournant vers Spartacus, elles ont commencé à crier : « Le préteur ! Le préteur ! »
Varinius a ramassé un glaive puis a marché vers l’homme ensanglanté qui se tenait debout au centre du champ.
Il s’est arrêté à quelques pas et, prenant son arme à deux mains, il s’est transpercé la poitrine et est tombé à genoux.
Il y a eu un long silence, puis le survivant de cette journée et de cette nuit de combats s’est approché du préteur Varinius et, après un instant, il s’est lui aussi suicidé, s’affaissant face à Varinius, tombant contre lui comme si les deux hommes avaient voulu se soutenir, s’embrasser.
Je suis resté seul au milieu de ce silence de mort, attendant qu’on m’égorge.
Spartacus a alors crié que celui qui me frapperait, il le tuerait de ses mains.
Et il les a levées.
Puis il s’est tourné vers moi, me disant de m’éloigner au plus vite, ajoutant :
— Tu raconteras ce que tu as vu.
Je suis parti, fendant la foule des esclaves qui s’était ouverte devant moi.
Je l’ai traversée au milieu de rugissements de fauves.
Puis j’ai marché plusieurs jours et j’ai enfin rencontré des hommes, des citoyens de Rome.
43
— Il fallait égorger Castricus, le centurion, dit Curius. Il a vu ce que nous sommes.
Curius se retourne, tend le bras, montre à Spartacus qui marche à ses côtés cette foule dont, à l’exception des premiers rangs, les contours se perdent dans le brouillard, mais on entend la rumeur, le martèlement des pas et, parfois, l’éclat des voix.
— Un troupeau
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