Spartacus
parlantes. Nous sommes libres ! »
Le géant a reconnu le préteur Publius Varinius agenouillé près de moi. J’ai cru qu’avec sa poigne il allait lui briser la nuque.
Mais ce gladiateur thrace nommé Spartacus, qui mène les esclaves, a donné l’ordre qu’on nous gardât vivants.
Le géant a laissé retomber Varinius qui s’est affaissé contre moi.
Puis Spartacus s’est approché et le géant, me tirant la tête en arrière, m’a forcé à montrer mon visage.
— Tu es Nomius Castricus, le centurion de la VII e Légion, a dit le chef des esclaves. Je te connais. Tu étais en Thrace. C’est toi qui m’as mis en cage.
J’ai pensé qu’il allait me trancher la gorge. Je l’ai souhaité, fermant les yeux, attendant que la lame s’enfonce.
— Plus tard ! a décrété Spartacus.
Il s’est éloigné et a reconnu Calvicius Sabinius, le tribun.
Il l’a poussé vers moi et Varinius.
Nous sommes ainsi restés côte à côte, à genoux, cependant que le Thrace parcourait le champ, s’arrêtant devant chaque prisonnier et l’obligeant à se lever.
Lorsque j’ai vu Spartacus regrouper les hommes par paires, j’ai deviné ses intentions. Je me suis souvenu des mots qu’il avait prononcés en s’adressant à Publius Varinius : « Tu vivras ce que tu as fait vivre. »
J’ai murmuré à Sabinius et à Varinius :
— Ce gladiateur veut nous voir mourir en gladiateurs.
L’un et l’autre m’ont regardé avec effroi.
— Nous allons nous entre-tuer pour eux, ai-je poursuivi.
La foule des esclaves aussi avait compris. Elle trépignait. Elle hurlait : « Jugula ! Jugula ! »
J’ai reconnu Curius, le maître d’armes du ludus de Capoue qui s’était jadis enfui avec Spartacus. Il faisait s’éloigner la foule des esclaves afin d’agrandir l’espace réservé aux combats. Il ordonna qu’on fit sortir du champ, sous escorte, une partie des prisonniers, n’en laissant sur place qu’une dizaine de paires. Puis il commanda qu’on entassât des glaives, des pieux, des lances, des poignards dans un coin du terrain.
La foule riait, grondait, criait.
Tout à coup, la voix de Spartacus a retenti, imposant silence.
— Ils vont se battre et mourir. Eux qui nous ont poussés dans l’arène, les mains liées, qui nous ont livrés aux fauves, eux pour qui nous n’étions que des bêtes, ils vont s’entre-tuer. Leur sang coulera en souvenir de Crixos le Gaulois, d’Œnomaus le Germain, de Vindex le Phrygien, des vingt mille des nôtres qu’ils ont massacrés et de tous les gladiateurs qu’ils ont fait combattre pour leur plaisir ! C’est notre plaisir aujourd’hui. Nous dédions ces combats aux mânes de nos frères morts, gladiateurs et esclaves de Rome, devenus hommes libres. Ceux-ci vont mourir pour eux et pour nous. C’est le munus, le cadeau que moi, Spartacus, j’offre en mémoire des morts, et que je vous offre, à vous qui m’avez rejoint et suivi !
J’ai regardé Spartacus. Il portait la cuirasse dorée du tribun Sabinius et une cape courte de couleur rouge. Autour de lui se tenait ce rhéteur grec, Posidionos, que j’avais connu en Thrace et qui avait vécu quelques jours dans le camp de la VII e Légion. J’ai aperçu, assise aux pieds de Spartacus, cette prêtresse de Dionysos dont les cheveux blonds couvrent les épaules et qui avait été, elle aussi, capturée en Thrace en même temps que Spartacus, ainsi que le guérisseur juif, qui se tenait à quelques pas en arrière.
Curius est venu vers nous.
— Vous les regarderez se battre et mourir. Vingt fois vingt paires. Vous serez les derniers.
— Je ne me battrai pas, a répliqué Sabinius.
— Alors on te livrera aux femmes. Elles ont les dents et les ongles plus acérés que ceux des lionnes.
— Qui survivra ? a demandé Varinius.
Curius a ricané.
— Tu n’as jamais assisté à un munus de gladiateurs ? Tu n’en as jamais offert, toi, préteur, qui es venu si souvent à Capoue ? Tu ne connais pas Cnaeus Lentulus Balatius ? Je t’ai vu, la veille des munus, quand on choisissait les gladiateurs qui allaient affronter les fauves. Tu sais bien que ce n’est pas celui qui se bat qui choisit de vivre ou de mourir, mais ceux qui lèvent ou abaissent le pouce ! Ici, c’est Spartacus qui choisira ! Il est notre préteur, notre tribun, notre consul, le prince des esclaves. Il décidera de ta vie ou de ta mort, Varinius !
J’ai dit :
— Personne ne
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