Spartacus
disparu, Spartacus a murmuré :
— Je les envoie à la mort.
— Tout homme a rendez-vous avec elle, a dit Jaïr le Juif.
— J’aurais dû être le premier à la défier.
— Tu dois rester vivant jusqu’au dernier combat, a repris Jaïr. C’est le destin du roi.
— Je n’ai pas choisi de l’être.
— Tu l’es, Dieu l’Unique t’a élu. C’est à la fois ta tâche, ta gloire et ton sacrifice.
Apollonia a écarté Jaïr. Elle m’a repoussé, puis s’est accrochée au cou de Spartacus, se collant à lui, lui mordillant l’oreille, lui chuchotant des phrases dont je n’entendais que des bribes.
J’ai compris qu’elle le mettait en garde contre le Dieu unique du Juif. Il fallait célébrer les dieux de l’Olympe, a-t-elle répété, et non pas ce Maître de Justice dont on ne savait s’il était homme ou dieu. Il vivait dans le désert sans jamais délivrer de signe, et elle ne connaissait aucun prêtre qui eût pu faire connaître ses oracles.
Spartacus devait rester fidèle et soumis à Dionysos.
Le dieu, a-t-elle ajouté d’une voix forte, l’avait visitée cette nuit-là, lui assurant que le Thrace devait quitter la troupe des esclaves, avec quelques-uns de ses plus proches compagnons.
Apollonia s’est tournée vers nous, nous conviant à nous approcher d’elle et de Spartacus.
Il fallait fuir, obéir à l’injonction et au conseil de Dionysos, a-t-elle dit.
— Toi, Posidionos, a-t-elle ajouté en posant la main sur ma poitrine, ne l’as-tu pas toi même suggéré ?
J’avais en effet évoqué la possibilité de gagner les ports avec une petite troupe et d’embarquer sur les navires des pirates.
— Dionysos ne veut sauver qu’une poignée d’hommes. Il ne veut plus d’une troupe, a repris Apollonia.
Elle a égrené quelques noms, dont le mien, celui de Pythias et, comme à regret, celui de Jaïr le Juif.
— Jaïr a dit jusqu’au dernier combat, a murmuré Spartacus. Je ne fais pas d’autre choix.
— Tu peux franchir le détroit de Sicile, ai-je dit, et ranimer sur l’île les braises des guerres serviles.
Spartacus m’a longuement regardé sans répondre.
Il est vrai que la mer était loin.
Nous avons à notre tour quitté la Campanie, pénétré en Lucanie. Nous cheminions de nuit à travers les forêts, entendant les tambours des légions romaines. Crassus devait mener lui-même la traque, n’accordant aucun repos à ses légions.
Sur notre route, nous avons d’abord rencontré les sept survivants de la troupe de Tadix le géant. Ils étaient hagards, couverts de sang. Ils avaient été encerclés par trois légions. Ils avaient vu le proconsul chevaucher en avant des premières lignes de ses soldats et frapper avec une frénésie qui faisait reculer les plus vaillants. À la fin, son cheval avait du sang jusqu’au poitrail et devait escalader les corps. Tadix était l’un d’eux.
Curius, lui, avait survécu avec une dizaine de gladiateurs, réussissant à échapper aux légions que conduisaient le tribun militaire Julius Caesar et le légat Fuscus Salinator.
Plusieurs milliers d’hommes et de femmes avaient ainsi été massacrés. Et l’on avait entendu hurler les esclaves que les Romains étaient parvenus à capturer. Ils étaient près d’un millier et l’on pouvait imaginer leurs supplices. Crucifiés ? Jetés vivants dans un brasier ? Livrés à des chiens affamés ? Contraints de s’entre-tuer à mains nues ? Mutilés et laissés, avec leurs moignons sanglants, en pleine forêt, à la merci des loups et des rapaces ?
Spartacus a écouté le récit des survivants.
Il a serré contre lui Curius, dans un geste d’amitié si inattendu que l’ancien maître d’armes en a chancelé d’émotion.
— Nous allons surprendre et Rome et les dieux ! lui a-t-il dit.
51
Je ne fus pas surpris par les propos et les décisions de Spartacus, devait raconter plus tard Jaïr le Juif. Le Thrace était l’un de ces rares hommes que le Dieu unique choisit pour qu’ils accomplissent jusqu’au bout leur destin.
Celui de Spartacus était de combattre Rome à la tête d’une troupe d’esclaves qui voulaient vivre en hommes libres.
Spartacus savait désormais que Rome était implacable, que le proconsul Licinius Crassus était aussi obstiné que cruel – un chacal, ainsi que l’appelait Pythias, l’esclave que le Thrace ne cessait d’interroger. Spartacus voulait connaître à fond le caractère et la
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