Spartacus
avance jusqu’à moi !
Les rangs se sont écartés. Le Gaulois s’est approché à pas lents. Il s’est arrêté à quelques pas de Spartacus et s’est écrié :
— Je t’ai donné l’or que tu voulais, et nous avons pris ce que nous voulions. C’est justice !
— Tu as dit : il n’y a pas de demain.
— Je t’ai dit qu’il fallait prendre ce que l’on pouvait prendre.
— Tu l’as pris.
Spartacus a fait deux pas en avant.
J’ai été ébloui par l’éclat de la lame qui jaillissait du fourreau.
La tête du Gaulois a roulé.
Spartacus, en même temps, a crié :
— Il n’y a pas de demain pour celui qui n’obéit pas à Spartacus.
52
— Le corps du Gaulois et sa tête tranchée se sont desséchés sur la terre caillouteuse qui s’étend des murailles de la ville de Thurii jusqu’au rivage du golfe de Tarente.
Je n’ai vu, poursuit Jaïr le juif, aucun esclave tenter d’ensevelir les restes de cet homme qu’ils avaient acclamé et suivi.
Je les observais.
J’étais assis devant la tente que Spartacus avait fait dresser sur une hauteur d’où l’on apercevait à la fois la ville, ses alentours et toute l’étendue du golfe.
Il attendait l’arrivée des vaisseaux des pirates ciliciens.
Il ne pouvait cacher son impatience, arpentant à grands pas le sommet de cette colline de sable où s’accrochaient quelques touffes d’herbes ployées par le vent.
Il s’arrêtait devant moi, me dévisageait comme s’il avait hésité à me parler, puis tournait la tête, regardait les silhouettes des esclaves qui montaient la garde autour du corps du Gaulois.
Souvent ces hommes gesticulaient, lançaient des pierres avec leurs frondes, criaient, brandissaient leurs armes, réussissant ainsi à éloigner du cadavre les rapaces qui tournoyaient au-dessus de lui et parfois fondaient à plusieurs, cherchant à le déchiqueter.
Les esclaves avaient abattu plusieurs de ces oiseaux qu’ils avaient lancés loin, en direction de la tente de Spartacus.
Ils gisaient à une centaine de pas, taches blanc et noir sur la terre ocre.
— Ils n’oublieront pas, ai-je dit un jour à Spartacus.
Il s’est éloigné, semblant ne pas m’avoir entendu, parlant fort avec Curius, l’interrogeant sur ce que les guetteurs avaient appris de la marche des légions de Crassus qui s’approchaient, venant de Campanie et de Lucanie, et des réponses que les pirates ciliciens avaient données à ses propres envoyés, Pythias et Posidionos.
Les hommes de Curius avaient escorté les deux Grecs jusqu’à l’extrémité du Bruttiüm, cette pointe de la botte italique qui semble repousser au large la Sicile. Là se trouvaient les navires des pirates.
Pythias et Posidionos avaient fait plusieurs voyages entre la terre et les bâtiments. Puis ils avaient indiqué aux hommes de Curius qu’ils embarquaient avec les pirates et qu’ils se rendraient dans le golfe de Tarente pour traiter directement avec Spartacus.
On les guettait.
Spartacus avait ordonné que son troupeau d’esclaves apprenne à former les rangs, à marcher au pas, à combattre en ligne, à donner ainsi l’apparence d’une authentique armée.
Car les pirates n’accepteraient de transporter plusieurs milliers d’ennemis des Romains que s’ils avaient la certitude que cette troupe d’esclaves, qu’ils devaient mépriser, pouvait tenir en échec les légions de Crassus et celles de Verrès, le propréteur de Sicile qui avait commencé à faire fortifier les côtes du détroit pour s’opposer à tout débarquement.
Chaque jour, donc, j’assistais aux exercices que Curius et ses hommes imposaient aux esclaves.
La plupart s’y pliaient, s’affrontant entre eux, courant à l’assaut en veillant à former un mur continu de boucliers et une infranchissable herse de javelots.
Mais quelques-uns se tenaient à l’écart, sentinelles veillant sur la dépouille du Gaulois décapité, interdisant aux rapaces d’approcher, n’osant pourtant pas recouvrir le corps de pierres, élever un tumulus, craignant sans doute, s’ils l’avaient fait, de défier Spartacus.
Car désormais ils le craignaient.
Ils obéissaient aux hommes de Curius, baissaient la tête quand ils croisaient le Thrace. Ceux qui maintenant devaient le servir, repoussant le sable que le vent amoncelait devant sa tente, ou bien lui apportant des amphores d’eau et de vin, ou faisant griller pour lui la viande ou le poisson, avaient
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