Spartacus
troupeau.
— J’ordonne qu’on ne pille pas cette ville, a-t-il dit. J’ordonne qu’on campe hors de ces murailles pendant que quelques-uns d’entre nous iront demander qu’on nous ouvre les portes, qu’on nous livre du blé et de la viande, du poisson, ainsi que de l’or avec lequel nous paierons les pirates. Ils nous feront traverser la mer jusqu’en Sicile. Là-bas, dans l’île du blé, nous établirons la République des hommes libres, et malheur à Rome si elle vient nous attaquer !
Le troupeau a écouté en silence.
Quelques esclaves ont brandi leurs pieux, leurs lances, leurs glaives, et crié qu’ils approuvaient Spartacus.
Mais la plupart maugréaient. Tout à coup, une voix à lancé :
— Prenons ce qu’on peut prendre aujourd’hui ! Prenons tout ! Brûlons ce qu’on ne peut emporter. Il n’y a pas de demain !
Le troupeau a acclamé cet homme à la voix forte et assurée.
— Qui es-tu, toi qui parles comme si tu commandais ? a interrogé Spartacus.
— Ici, personne ne commande, a répliqué la voix. Nous sommes des hommes libres. Personne, pas même toi, Spartacus, ne nous imposera sa loi. Nous n’avons pas égorgé les citoyens de Rome pour qu’un gladiateur thrace nous demande de lui obéir. Si nous avions voulu être esclaves, nous ne nous serions pas enfuis, battus. Nous aurions pu aussi attendre que nos maîtres fassent de nous des affranchis. Et en gardant la tête baissée, nous le serions devenus. Mais nous avons voulu marcher la nuque raide et droite. Laisse-nous passer, Spartacus, nous allons prendre cette ville et nous gaver de ce que les greniers, les celliers, les chambres des femmes contiennent !
La multitude s’est ruée, bousculant, renversant les hommes de Curius, cernant le cheval de Spartacus, S’élançant vers la ville cependant que le Thrace, glaive levé, restait avec ses gardes au milieu de la voie que le troupeau avait quittée.
J’ai vu la ville de Thurii brûler.
J’ai marché dans les rues encombrées par les cadavres de ses habitants.
J’ai entendu les cris des femmes qu’on violait.
J’ai suivi un homme qui portait deux sacs dont j’ai pensé qu’ils étaient emplis d’or.
Il est monté jusqu’au sommet de la tour.
Spartacus était assis sur le muret, regardant la mer au loin.
— Tu voulais savoir qui j’étais, a dit l’homme en jetant les sacs aux pieds de Spartacus. Je suis Calixte, un Gaulois. Avec cet or – il a touché les sacs de la pointe du pied –, tu pourras payer les pirates, comme tu l’as dit.
Spartacus n’a pas bronché. Le Gaulois a quitté la tour à reculons comme s’il se méfiait.
Je me suis approché de Spartacus.
Il s’est tourné vers moi.
— Ne me parle pas de ton Dieu, de ton Maître de Justice, a-t-il dit en se levant. Cette ville, je voulais la conquérir sans la détruire, sans tuer. J’y aurais accueilli les chefs des pirates. Nous y aurions résisté aux légions de Crassus. Nous aurions pu nous liguer avec d’autres villes. Nous aurions ainsi pu préparer notre passage en Sicile. Nous avons certes de l’or, mais aussi des ruines et des cadavres plein les rues.
Tout son visage s’est contracté, une moue de dégoût lui cernant la bouche.
— Ce ne sont pas des hommes libres, a-t-il murmuré. Ils sont restés des animaux. Il faut les traiter comme tels, les dresser comme on fait des chevaux et même des fauves.
— Alors tu ne seras plus Spartacus, ai-je dit.
— Spartacus survivra si je me bats et si je remporte encore des victoires. On oublie les vaincus. On se souvient de ceux qui résistent comme des hommes libres et qui ne se battent pas comme des bêtes.
Il a serré le pommeau de son glaive.
J’aurais voulu ne pas entendre les mots qu’il a alors prononcés.
— Il faut que je tue ce Gaulois, a-t-il dit. Peut-être la peur fera-t-elle que ces animaux finiront par combattre comme des hommes.
Spartacus a rassemblé son troupeau au pied des remparts de la ville morte.
Les hommes repus somnolaient, debout, appuyés à leurs armes.
Il s’est avancé vers les premiers rangs.
— Vous avez brûlé et pillé cette ville, a-t-il crié. Vous avez tué, bu, violé. Je ne le voulais pas.
Les hommes du troupeau se redressaient peu à peu comme si chaque mot proféré par Spartacus les cinglait.
— Je suis votre prince, et pourtant vous avez refusé de m’entendre. Vous avez suivi Calixte le Gaulois comme s’il était votre chef. Calixte,
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