Spartacus
Né non loin d’Athènes, esclave puis affranchi, il avait été enrôlé dans l’une des légions que Crassus venait de constituer.
Lorsqu’il prononçait le nom du proconsul, il regardait autour de lui comme s’il craignait qu’on ne l’entendît. Il ne tarda pas, en montrant les fumées qui maculaient l’horizon, à raconter comment Crassus avait procédé à la décimation de deux légions que nous avions battues, et comment le légat Mummius s’était suicidé, offrant sa mort à Crassus.
Le jeune soldat parlait d’une voix étranglée, ajoutant que le proconsul avait martelé que le destin d’un soldat de Rome était de vaincre ou de périr. Il n’y avait pas de vie possible pour les vaincus ni pour ceux qui étaient pris par l’ennemi. Si celui-ci la leur laissait, Rome se chargerait de les supplicier.
J’ai détourné les yeux de ce soldat. Je n’ai pas voulu savoir ce qu’il était advenu de lui. On avait dû l’enchaîner aux quelques autres captifs que la foule des esclaves humiliait et martyrisait avant de les battre à mort ou de les contraindre à s’entre-tuer.
Je me suis rendu auprès de Spartacus.
Je lui ai raconté ce que j’avais appris.
La cruauté de Crassus, qui remettait en usage un châtiment abandonné depuis des lustres, le suicide du légat Mummius – et, déjà auparavant, celui du préteur Publius Varinius – montraient que les dieux avaient chassé de l’esprit des Romains l’hésitation et la peur. Ils allaient donc pouvoir déployer toute leur puissance. Pour eux commençait le temps de l’impitoyable et inéluctable vengeance.
J’ai répété à Spartacus qu’il ne pouvait espérer sauver la horde immense qui s’était rassemblée autour de lui et dont seule une petite partie acceptait la discipline nécessaire à la conduite de la guerre.
Il fallait séparer le bon grain de l’ivraie et, avec cette petite armée, débarrassée du reste du troupeau, tenter de passer entre les légions de Crassus, rejoindre la Lucanie et, de là, un port où l’on pourrait – j’avais déjà suggéré cela à plusieurs reprises – payer des pirates ciliciens et gagner les terres de l’autre côté de la mer.
Spartacus s’est éloigné, l’air de ne pas m’avoir entendu, mais, le soir venu, il a appelé auprès de lui Tadix le géant et Curius.
Il avait décidé de confier à chacun le commandement de ceux qui voulaient le suivre, à charge pour eux de les organiser, de se diriger vers le sud, vers la Lucanie, le Bruttium, la Calabre, vers les ports de Brundisium, de Metaponte, de Petelia, de Rhegium.
Lui gagnerait la Lucanie avec ce qui resterait de la foule des esclaves qu’il essaierait de transformer en armée.
Tadix le géant a hésité : pourquoi diviser cette multitude capable de submerger les légions romaines ? N’était-ce pas ainsi que l’on avait battu les deux légions de Mummius ?
— Mummius s’est suicidé, a répondu Spartacus. Licinius Crassus, lui, est d’un autre métal.
Spartacus a convaincu Tadix que nous ne pouvions que ruser et fuir séparément, par petites troupes de quelques milliers d’hommes qui pourraient surprendre les Romains, s’emparer de leurs chariots, de leur blé et de leur orge. Car la faim nous tenaillait. Les greniers des villes de Campanie avaient été pillés, les celliers étaient vides, les vergers et les champs dévastés, le bétail depuis longtemps égorgé et dévoré. Il fallait donc que Tadix le géant et Curius courent leur chance.
J’ai vu s’éloigner l’une après l’autre leurs bandes de quelques milliers d’esclaves.
Celle dont Curius avait pris la tête ressemblait à une armée. Les premières lignes étaient constituées d’anciens gladiateurs portant des cuirasses, des armes et des casques romains. Puis venaient des esclaves tenant sur leurs épaules des pieux effilés, durcis au feu. Sur les côtés marchaient des frondeurs, et dans les derniers rangs se mêlaient femmes échevelées et hommes à faciès de bêtes, aux larges mains armées de coutelas.
La troupe de Tadix le géant était une foule disparate de Gaulois et de Germains accompagnés de leurs femmes. Ils couraient plus qu’ils ne marchaient, brandissant leurs haches.
Spartacus a regardé défiler ces deux colonnes sans esquisser le moindre geste, le visage figé, les yeux fixes, comme s’il ne voyait pas les hommes lever leurs armes pour le saluer.
Quand les derniers esclaves ont
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