Spartacus
recueillies dans les archives militaires de Rome. Il constitue la fourchette basse des troupes attribuées à Spartacus mais reste cohérent par rapport aux chiffres donnés précédemment par les historiens (il faut en effet tenir compte des pertes et des désertions enregistrées par les esclaves durant cette ultime campagne). Tite-Live et Orose estiment pour leur part que Spartacus dispose ce jour-là d’environ 70 000 soldats.
Même avec de tels effectifs, son infériorité numérique oblige Spartacus à choisir entre deux dispositifs. Il peut opter pour une profondeur aussi importante que celle de son adversaire. Dans ce cas, son front de bataille sera plus court et il sera immanquablement enveloppé par les ailes. Son manque de cavalerie ne lui permettant pas de se prémunir contre ce danger mortel, il doit adopter une autre solution. En amincissant la profondeur de son corps de bataille, il peut couvrir un front aussi long que celui de l’ennemi mais, conséquence de ce choix tactique, ses lignes seront alors beaucoup moins solides et risquent d’être plus facilement enfoncées. A l’instant où les deux armées s’apprêtent à se mettre en marche, Spartacus doit probablement sentir un flottement au sein de ses troupes. Ses hommes n’ont jamais affronté un adversaire aussi nombreux et aussi déterminé. En bon général et fin psychologue, il sait qu’il doit accomplir un acte suffisamment fort pour marquer chacun de ses soldats. Plutarque nous dit que, « tout d’abord, il se fit amener son cheval, tira son épée et dit que, vainqueur, il trouverait chez les ennemis beaucoup de beaux chevaux, et que, vaincu, il n’en aurait pas besoin ; là-dessus, il égorgea le cheval ». Malgré sa théâtralité, ce geste demeure plausible. Il ne faut pas négliger la dimension religieuse de la guerre antique. Egorger un cheval de guerre constitue incontestablement un rituel sacrificiel qui peut plaire aux dieux et impressionner les hommes. Psychologiquement, un tel acte signifie que le combat sera sans merci, que nul ne pourra reculer et surtout pas le général qui vient, en quelque sorte, de « brûler ses vaisseaux ».
L’assaut
Le sacrifice de son cheval de bataille marque profondément les hommes de Spartacus. En frappant de leurs armes leurs boucliers, les esclaves devenus soldats acclament ce chef prêt à prendre tous les risques à leurs côtés. A cet instant l’indiscipline est oubliée. Spartacus retrouve tout son charisme et toute son autorité. Pour profiter de ce moment d’exaltation, il donne sans plus tarder l’ordre d’attaquer. Ses trompettes retentissent tandis que s’abaissent les étendards pris aux Romains dans une dizaine d’affrontements victorieux. En dépit des images véhiculées par le cinéma, il est peu probable que les hommes de Spartacus se précipitent en courant contre les lignes de Crassus. Quel en serait l’intérêt ? Pourquoi faudrait-il arriver à bout de souffle au contact de l’ennemi pour engager un combat de quelques secondes où chacun joue sa vie ? Quel avantage y a-t-il à affronter en ordre dispersé des légionnaires qui s’appliquent à tenir une ligne continue ? Il est déjà difficile de maintenir la ligne d’une unité de soldats qui marchent au pas. Il est strictement impossible de le faire s’ils se mettent à courir, comme dans tous les films « historiques ». Certes, nombre de tacticiens de comptoir parleront de l’enthousiasme du combat et de l’exaltation communicative des guerriers. C’est oublier que la peur accompagne toujours le combattant à la guerre, à toutes les époques. Comme l’a si bien décrit Eschyle, qui a été hoplite avant d’être auteur de tragédies, les hommes de Spartacus doivent à cet instant sentir le « fluide jaunâtre » qui coule dans le cœur du soldat 101 . Mis à part quelques fous, les hommes les plus courageux ont peur à cet instant. Ils trouvent plus de réconfort dans la proximité des compagnons placés tout près d’eux que dans de longues charges héroïques. Très loin de l’inconscience sans risques des héros des salles obscures, les hommes avancent plutôt au combat au pas lent des vieilles troupes. Dans le brouhaha et le mugissement des trompes de guerre, l’horizon du soldat s’arrête souvent à la nuque d’un camarade placé devant lui et à la lance et au bouclier des combattants placés à sa droite et à sa gauche. Certains objecteront que l’avancée des
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