Spartacus
fit et l’acheva en peu de temps. Il creusa un fossé d’une mer à l’autre à travers l’isthme sur une longueur de trois cents stades et sur quinze pieds de largeur comme de profondeur ; au-dessus de ce fossé il éleva un mur d’une hauteur et d’une solidité étonnantes. »
Dans le principe, ce type de tâche n’est pas très différent de ce à quoi sont astreints les légionnaires après chaque journée de marche, avec la dolabra et des paniers d’osier pour seuls engins de terrassement. Cependant, à la différence des retranchements des camps d’étape, les travaux entrepris ici sont ceux d’un véritable siège de ville, avec des fossés beaucoup plus profonds : Plutarque parle de 15 pieds, soit 5 mètres de largeur et de profondeur, c’est-à-dire trois fois plus qu’un fossé ordinairement creusé pour un camp d’étape. Les auteurs ne le disent pas, mais ces fossés sont certainement agrémentés de pièges ; ce type d’ouvrage nous est bien connu grâce aux travaux que César entreprendra vingt ans plus tard pour le siège d’Alésia. Le détail qu’en donne ce dernier dans ses Commentaires illustre parfaitement le travail réalisé par les soldats de Crassus : « On coupa des troncs d’arbres et de fortes branches, on les dépouilla de leur écorce et on les aiguisa par le sommet ; puis on ouvrit une tranchée de cinq pieds de profondeur, où l’on enfonça ces pieux qui, liés par le pied de manière à ne pouvoir être arrachés, ne montraient que leur partie supérieure. Il y en avait cinq rangs, joints entre eux et entrelacés ; quiconque s’y était engagé s’embarrassait dans leurs pointes aiguës – nos soldats les appelaient des ceps. Au-devant étaient disposés obliquement en quinconce des puits de trois pieds de profondeur, lesquels se rétrécissaient peu à peu jusqu’au bas. On y fit entrer des pieux ronds de la grosseur de la cuisse, durcis au feu et aiguisés à l’extrémité, qui ne sortaient de terre que de quatre doigts, et, pour affermir et consolider l’ouvrage, on foula fortement la terre avec les pieds. Le reste était recouvert de ronces et de broussailles, afin de cacher le piège. On avait formé huit rangs de cette espèce, à trois pieds de distance l’un de l’autre : on les nommait des lys à cause de leur ressemblance avec cette fleur. En avant du tout étaient des chausse-trappes d’un pied de long et armées de pointes de fer, qu’on avait fichées en terre ; on en avait mis partout, à de faibles distances les unes des autres ; on les appelait des aiguillons 92 . » Ces aiguillons sont des pointes de fer munies d’une barbule acérée, dont les archéologues ont retrouvé de nombreux exemplaires à Alésia. Lorsque le combattant monte à l’assaut, toute son attention est concentrée vers la palissade où se tiennent les défenseurs. Il lui est donc difficile de regarder où il marche. Lorsqu’il tombe sur ces aiguillons de tout le poids de son corps et de son équipement, son pied est transpercé de part en part par la pointe de fer. Forgée comme un harpon dirigé vers le haut, cette pointe est également plantée sur une bûche de 30 centimètres elle-même fichée dans le sol. Grâce à cet ingénieux système, la pointe ne peut être retirée du pied. Outre la souffrance fulgurante infligée par la blessure, le combattant est immédiatement réduit à l’impuissance et devient une cible facile. Il est très probable que Crassus ait doté ses défenses d’un tel système de pièges. On notera d’ailleurs que la taille du fossé est la même pour les deux généraux et correspond certainement à un format réglementaire. Cette organisation de siège n’est donc pas le fait du hasard mais correspond plutôt à des mesures normalisées appliquées strictement par les ingénieurs accompagnant les légions.
Si les fossés sont élargis, les palissades de branches tressées des camps sont également remplacées par une véritable muraille. Plutarque n’en dit pas la hauteur mais souligne « son épaisseur et son élévation étonnantes ». Le massif de la Sila, couvert de chênes et de pins, fournit en abondance le bois nécessaire. Le fait que l’historien parle de mur d’une grande hauteur indique que la palissade permet de dominer l’adversaire, empêchant toute tentative d’assaut car les esclaves ne disposent d’aucune machine de siège et constituent des cibles faciles pour les sentinelles. Celles-ci,
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