Spartacus
armées de javelots de siège, peuvent stopper net les assaillants dans leur élan. Ce javelot spécifique constitue une variante du pilum du légionnaire ; constitué d’une hampe de bois sur les deux tiers de la longueur, le dernier tiers est constitué d’une tige de fer acéré. Si les pila ordinaires sont relativement légers pour pouvoir être lancés au cœur de la bataille, ceux utilisés pour les sièges sont alourdis par un plomb situé entre la hampe de bois et la tige de fer. Grâce à ce poids supplémentaire, le projectile lancé du haut de la muraille a beaucoup plus de force lorsqu’il touche sa cible. La violence de l’impact lui permet de pénétrer n’importe quel bouclier et de poursuivre sa course à travers la cotte de mailles et les chairs de l’assaillant.
Un travail de Romains
En ce début d’hiver, les soldats de Crassus ne risquent donc pas de sombrer dans l’oisiveté. Salluste rapporte que les soldats employèrent « plusieurs journées » pour achever le travail. Même si ce terme est vague, la rapidité d’exécution ne doit pas surprendre : Crassus commande six légions de la dernière levée ainsi que les restes des légions des armées consulaires augmentés de renforts pour compenser leurs pertes, soit près de dix légions. Cette armée correspond à celle que César aura sous ses ordres quinze ans plus tard pour conquérir les Gaules. Si l’on estime que les alliés sont aussi nombreux que les légionnaires, comme c’est généralement la règle, Crassus peut consacrer près de 100 000 hommes à la réalisation de sa ligne de défense. Les 300 stades dont parle Plutarque correspondent à environ 55 kilomètres. Si l’on tient compte des soldats destinés à protéger le chantier et de ceux affectés au ravitaillement, le préteur peut donc consacrer en moyenne un homme pour chaque mètre de sa ligne de défense. Ainsi, une réalisation en quelques jours correspond certainement à la réalité.
Au-delà des strictes exigences tactiques, ce mur a sans doute aussi une fonction politique. En édifiant cette muraille, Crassus réalise, avec la sueur de ses soldats, un exploit mémorable. En fermant une péninsule, il impose sa loi à la nature et domine la géographie, comme d’autres avant lui. Trente ans plus tôt, Marius attendait la venue des Cimbres et des Teutons dans la basse vallée du Rhône. Afin de faciliter le ravitaillement de ses légions et occuper ses soldats, il leur fit creuser un canal reliant l’actuel port de Fos à Arles. En érigeant sa ligne d’une mer à l’autre, Crassus s’inscrit dans la lignée de Marius, qui, en creusant le canal des « fosses Mariennes », dota le Rhône d’un bras artificiel. A l’époque de Crassus, certains des légionnaires de Marius sont encore en vie. Ils ne manqueront pas de souligner les similitudes qui existent entre ces deux prouesses du génie romain. Après avoir mis ses pas dans ceux du Cunctator , le préteur semble vouloir les mettre à nouveau dans ceux de ses illustres prédécesseurs. Ce mimétisme obéit parfaitement au mos maiorum , la « coutume des ancêtres », principe fondamental auquel les Romains sont particulièrement attachés. Pour lui qui vise une carrière politique de premier plan, une telle comparaison sera utile pour s’attirer les suffrages de la faction des populares . Une fois le travail achevé, les fugitifs sont enfermés de tous côtés. Crassus peut attendre tranquillement que les esclaves se rendent, meurent de faim, ou viennent se faire massacrer dans les fossés aménagés devant ses murailles.
Le lieu où Crassus a bâti sa ligne de fortifications n’est pas connu précisément ; on penserait logiquement à l’endroit où la pointe de la Botte est la plus étroite, c’est-à-dire entre les villes antiques de Scylacium, sur la mer Ionienne, et Tempsa, sur la mer Tyrrhénienne. A cet endroit du massif de l’Aspromonte, il n’y a guère plus de 25 kilomètres d’une mer à l’autre. Or cette distance correspond à seulement la moitié des 300 stades évoqués par Plutarque. Crassus a donc installé son dispositif plus au nord, sans doute vers Consentia, région qui correspond au massif de la Sila dans lequel Salluste situe cette ligne. Même si le Romain ne serre pas Spartacus au plus près, l’espace qu’il lui laisse est très réduit et très pauvre en ressources. L’hiver a commencé et les esclaves ont sans doute déjà dû piller tout ce qui
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