Spartacus
l’Illyrie, dans les petits ports de l’Afrique voisine et jusqu’aux îles Baléares. Tout cela demanderait du temps et de l’organisation, on comprend donc mieux pourquoi Plutarque ne parle que de transborder « deux mille hommes » en Sicile. Pour cette opération qui concerne seulement une avant-garde, une trentaine de bateaux pirates peuvent suffire. Cependant, une telle opération a quand même un prix car les pirates ne prennent pas le risque de naviguer en hiver sans une bonne raison, et l’accord évoqué par Plutarque a dû être l’objet de rudes négociations. Spartacus aura eu beau arguer du fait qu’il s’agit d’une traversée d’à peine 3 kilomètres, la réponse de ses « partenaires » était toute trouvée : il se peut que la traversée soit courte et la mer vide de voiles romaines, mais elle se situe au pire endroit de la Méditerranée. Ce lieu est si dangereux qu’il est resté dans le langage des hommes. Deux mille ans plus tard, nous tombons toujours « de Charybde en Scylla » pour signifier que l’on sort d’un péril pour aller vers un autre plus terrible. Salluste, à ce moment du récit, fait d’ailleurs une intéressante digression géographique qui témoigne bien de la terreur qu’inspire le détroit : « Il est fameux par ces monstres fabuleux, Charybde d’un côté, Scylla de l’autre, qui se montrent au navigateur. Les habitants appellent Scylla un rocher qui s’élève au-dessus de la mer, et qui, de loin, offre à l’œil quelque apparence de la forme qu’on lui a tant attribuée : voilà pourquoi la fable lui a donné l’aspect d’un monstre à forme humaine, entouré de têtes de chiens, parce que les flots, qui se brisent contre cet écueil, font un bruit qui ressemble à des aboiements. Autour de Charybde […] les courants […], absorbant par des goufres cachés les objets naufragés que des accidents y amènent, vont les porter à soixante milles de là […] où les vaisseaux, mis en pièces, ressortent du fond des eaux. » Avec de telles légendes pour appuyer leurs dires, les pirates peuvent faire monter les prix : même pour des ennemis de Rome, un tel risque a un coût. Et puis, il y a Crassus qui se rapproche, prudemment mais sûrement. Il n’attaquera peut-être pas tout de suite mais pourra se faire ravitailler sans difficultés. Les esclaves devront eux se contenter de leurs réserves. Seront-elles suffisantes pour passer l’hiver ? Ce n’est pas sûr. Aucune ville, aucun port du Bruttium ne semble avoir ouvert ses portes de gré ou de force devant les révoltés. Comment feront-ils pour se nourrir pendant la mauvaise saison ? Et puis les hésitations font encore monter les prix au fur et à mesure que le temps se dégrade. Les nouvelles qui viennent d’Espagne et d’Orient, que les pirates s’empressent de rapporter, confirment que les Romains ont à présent les choses bien en main. Les armées de Pompée ne tarderont pas à revenir en Italie. Spartacus n’a pas le choix. Il sait encore une fois que le temps travaille pour les Romains.
La trahison des pirates
Nul ne connaît le prix de la transaction, mais elle a bien eu lieu. Plutarque dit simplement que les pirates prirent ce que Spartacus « leur offrait ». Ces présents, fruits des pillages effectués tout au long de la longue marche des esclaves à travers l’Italie, doivent prendre la forme de lingots d’or et d’argent. Les bijoux, les monnaies, les objets d’art pillés ont sans doute été fondus pour pouvoir être transportés plus commodément. Leur poids semble être suffisamment important pour convaincre les pirates de Sicile de bien vouloir prêter leur concours. Mais, selon Plutarque, les pirates, après avoir reçu de Spartacus les sommes promises, « le trompèrent, et partirent seuls ». La flotte des pirates a donc bien été réunie et une première somme versée. Ces présents doivent correspondre à un acompte conséquent, en attendant le solde en Sicile. Il faut imaginer cette scène où des milliers d’esclaves sont rassemblés le cœur plein d’espérance sur la plage. Devant eux, les navires pirates ont jeté l’ancre à quelques encablures. Les 2 000 soldats de Spartacus sélectionnés pour cette descente en Sicile sont prêts. Les autres les envient certainement mais ils ont confiance. Toute l’île se révoltera bientôt et il sera alors facile de la rejoindre. Les esclaves ont vu les envoyés des pirates descendre à terre
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