Spartacus
pouvait l’être dans ce bout de terre de 5 000 à 6 000 kilomètres carrés. L’essentiel de la Péninsule est couvert par des reliefs escarpés et le froid commence à se faire sentir. Les villes de la côte n’ont rien à craindre de ces fugitifs qui commencent à errer de tous côtés comme des loups pris au piège. Pour Crassus, il suffit donc de patienter pour remporter un succès qui économisera le sang des soldats de Rome. Cela aussi pourra lui gagner la faveur des comices lors des prochaines élections. Après les pertes subies depuis le début de la révolte et le choc causé par la décimation, une victoire éclatante et à moindre coût humain sera célébrée comme un exemple de modération.
Sortir du piège
Selon Plutarque, « Spartacus d’abord ne s’inquiétait pas de cet ouvrage et le méprisait, mais lorsque, le butin faisant défaut, il voulut sortir, il aperçut le retranchement ». Après la faillite du débarquement en Sicile, le chef rebelle commet là une seconde erreur : pour la première fois il semble sous-estimer son adversaire. Plutôt que de bousculer Crassus avant qu’il ait achevé de l’enfermer, Spartacus semble étrangement attentiste. Le fait d’avoir été dupé par les pirates a probablement ébranlé ses convictions et son assurance. A présent, les vivres manquent. Plutarque le dit clairement en affirmant que le Thrace ne peut « plus rien prendre dans la presqu’île ». Les fourrageurs se heurtent partout au mur de Crassus. Même sur les hauteurs il est impossible de le traverser. D’après Appien, « Spartacus, qui attendait de la cavalerie de quelque part, s’abstenait d’en venir à une action générale ». Cet historien est le seul à parler d’une cavalerie chez les esclaves. Sans doute s’agit-il d’hommes chargés par Spartacus de ravitailler l’armée en écumant le nord du Bruttium. La construction du mur par les Romains les ayant coupés du gros de l’armée, Spartacus compte sans doute sur eux pour attaquer la « ligne Crassus » sur deux fronts. Néanmoins, rien ne permet de dire que leur nombre est assez important pour inquiéter Crassus, qui jouit d’une nette supériorité pour la cavalerie.
Après les pirates, ce nouveau coup du sort doit profondément abattre les hommes de Spartacus. Ce dernier se trouve dans l’obligation de réagir rapidement. Agir avant qu’il ne soit trop tard et que ses hommes ne soient trop épuisés pour tenter quoi que ce soit. Agir avant que son autorité ne soit remise en cause et que les divisions ethniques de son armée ne reprennent le dessus. Sans doute fait-il attentivement observer chaque tronçon de la ligne par ses éclaireurs pour y déceler la moindre faiblesse. Par endroits, il doit tester les défenses de Crassus pour en éprouver la solidité. D’après Appien, « il harcelait, par diverses escarmouches, l’armée qui le cernait. Il lui tombait continuellement dessus à l’improviste, jetant dans les fossés des torches enflammées qui brûlaient les palissades ; ce qui donnait beaucoup d’embarras aux Romains ». Mais le mur de Crassus montre toute son efficacité. Les tentatives des esclaves n’entament pas le piège qui s’est refermé sur eux. Suivant la nature du terrain, le fossé est sans doute plus ou moins profond et les pièges plus ou moins nombreux. Le massif de la Sila où Crassus a installé l’essentiel de sa ligne est une zone montagneuse culminant à près de 2 000 mètres. Ce massif qui se dresse entre la mer Tyrrhénienne et la mer Ionienne est difficile d’accès. Presque tous les contreforts descendent rapidement vers la mer en ne laissant qu’une bande côtière étroite.
Toujours d’après Appien, qui est le seul à rapporter ce fait, Spartacus use lui aussi de gestes forts pour remotiver ses troupes : « Il fit pendre un prisonnier romain dans l’espace de terrain qui le séparait des troupes de Crassus, afin d’apprendre aux siens à quel genre de représailles ils devaient s’attendre s’ils se laissaient battre. » Par « pendre », il est possible d’imaginer que Spartacus fait plutôt crucifier un prisonnier romain face à la ligne tenue par ses camarades. Ce châtiment cruel est surtout infamant, puisque réservé aux esclaves et aux étrangers. Il est aussi chargé de malédiction car le supplicié meurt « suspendu », sans contact avec le sol. Selon les croyances des Romains l’homme soumis à une telle mort ne peut
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