Spartacus
trouver le chemin de l’au-delà ; ses mânes sont alors condamnés à errer sans fin. Comme lors de l’épisode des gladiateurs, Spartacus sait parfaitement appuyer sur les points faibles de l’adversaire, en jouant sur la psychologie : il tente de déstabiliser les Romains en leur présentant les deux sorts les plus horribles auxquels les esclaves, qui ne respectent rien, prétendent les soumettre. Nul doute que le spectacle de la lente agonie de leur camarade a dû ébranler les sentinelles romaines, mais une telle cruauté renforce également la haine des légionnaires contre des ennemis aussi indignes. Comme le souligne Appien, Spartacus vise en outre un autre but. Cette lente agonie de la croix permet de projeter sous les yeux des esclaves ce que sera leur sort en cas de capture. On comprend mieux pourquoi les Romains feront aussi peu de prisonniers et pourquoi les esclaves continueront à se battre jusqu’au bout, sans reculer.
Le retour de Pompée
Cette situation de « drôle de guerre », où les adversaires s’observent sans agir vraiment, se prolonge quelques semaines – suffisamment en tout cas pour susciter l’impatience du Sénat. D’après Appien, « sur ces entrefaites on apprit à Rome que Spartacus était cerné. Mais, comme on s’indignait que cette guerre de gladiateurs se prolongeât encore, on adjoignit à cette expédition Pompée, qui venait d’arriver d’Ibérie, persuadé qu’on était enfin que Spartacus n’était pas si facile à réduire ». Pompée est donc de retour. Pour autant, le général victorieux qui a rétabli la paix en Espagne est sans doute encore loin. A la tête d’une armée, il ne peut pénétrer en Italie sans en recevoir l’ordre du sénat. C’est en franchissant le Rubicon avec sa XIII e légion que César se mettra dans l’illégalité vingt ans plus tard. Pompée est donc sûrement encore au nord de ce petit fleuve qui matérialise la frontière entre l’Italie proprement dite et la Gaule cisalpine. Avec ses légions, il attend l’arme au pied que le Sénat lui confie la mission d’intervenir.
Le débat doit alors être vif au sein de l’illustre assemblée. Certains sont pressés d’en terminer et souhaitent que Crassus et Pompée écrasent ensemble cette révolte qui a trop duré. Les sénateurs clients de Pompée ne sont pas les derniers à défendre cette motion. Il apparaît clairement que Crassus seul vainqueur de Spartacus constituerait un adversaire politique redoutable. D’autres, et parmi eux les clients de Crassus, ont une lecture différente des événements. Pompée revient auréolé de nouveaux succès militaires. Il a avec lui une armée nombreuse et très aguerrie, qui lui est personnellement attachée et qu’il ne semble pas prêt à licencier. Donc il serait dangereux de rajouter un nouveau succès à ses lauriers. L’autoriser à entrer en Italie avec ses légions lui donnerait l’occasion de s’emparer du pouvoir à Rome. A nouveau le spectre de la dictature et des proscriptions plane sur l’assemblée alors que Spartacus n’est pas encore abattu. Crassus, qui est informé chaque jour des débats du Sénat, comprend que le temps lui est petitement compté et qu’il doit passer à l’action ; Appien le confirme lorsqu’il rapporte que « Crassus, qui ne voulait pas laisser à Pompée cette palme à cueillir, resserra Spartacus de plus en plus, et se disposait à l’attaquer ».
De l’autre côté de la palissade, Spartacus semble tout aussi bien informé de la situation et des enjeux politiques en train de se nouer à Rome. Le retour de Pompée de ce côté des Alpes constitue pour lui aussi un danger redoutable. Paradoxalement, les intérêts de Crassus et du chef rebelle sont presque liés à cet instant. Ainsi, toujours selon Appien, « Spartacus, jugeant qu’il fallait prendre Pompée de vitesse, proposa à Crassus de négocier ». Comme on pouvait s’y attendre, l’historien précise aussitôt que cette proposition est « méprisée » par Crassus. Comment un préteur commandant une armée romaine aurait-il pu s’abaisser à négocier avec un esclave rebelle ? Personne à Rome n’aurait compris ni pardonné un tel comportement. De plus, Spartacus n’a rien à offrir, sinon d’aller vaincre l’adversaire politique de Crassus dans le nord de l’Italie ; le préteur a beau avoir de l’ambition, un tel marché porterait la marque de la trahison et sonnerait le glas de sa vie
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