Staline
lardent le vagin de coups de poignard et de sabre ; à Iouzovka,
patrie de Khrouchtchev, les Blancs, jugeant que les mineurs extraient trop peu
de charbon, les alignent sur le carreau de la mine et en fusillent un sur dix ;
les armées dites « vertes » de paysans révoltés, qui se forment dès l’été 1918,
éventrent leurs victimes, leur arrachent les yeux, les découpent à la hache,
les empalent, les brûlent en dansant autour des bûchers ; en mars 1919,
la Conférence spéciale de l’Armée des volontaires formée de monarchistes,
libéraux et socialistes dits modérés, dirigée par le général Denikine, promet
la mort aux « individus coupables d’avoir préparé la conquête du pouvoir
par le Conseil des commissaires du peuple [296] »,
ainsi qu’à leurs complices, ce qui fait beaucoup de monde. La lutte est donc
cruelle et sans merci.
Dans un combat aux frontières géographiques perpétuellement
mouvantes, où l’adversaire en civil est aussi bien derrière soi que devant, l’intimidation
des ennemis de l’arrière s’impose à tous comme une nécessité, et tous pratiquent
à cette fin le système des otages. En novembre 1918, les troupes de
Koltchak arrêtent les dirigeants SR d’Omsk en Sibérie et prennent en otage
plusieurs dizaines de cadres SR, dont vingt députés de l’Assemblée
constituante. En décembre, les ouvriers de la ville font grève. En
représailles, la police de Koltchak fusille dix députés…
N’ayant reçu aucune formation militaire, Staline se forge
empiriquement des conceptions stratégiques, assez rudimentaires, il faut le
dire, au cours de l’affrontement avec l’armée de Denikine. Il les exposera un
an plus tard, en octobre 1919, dans une lettre à son ami Ordjonikidzé qui
guerroie dans le Caucase : « La tâche fondamentale est de battre l’adversaire
par un unique groupe massif envoyé dans une seule direction définie [297] . » Cette
offensive frontale de masse, qu’il imposera pendant la Deuxième Guerre mondiale
au prix de pertes énormes, est la seule tactique qu’il connaisse.
Le 30 août, Ouritski, le chef de la Tcheka de
Petrograd, est abattu par un étudiant qui l’attend paisiblement dans le
vestibule de l’organisation ; le même jour, une femme tire trois coups de
feu en direction de Lénine qui sortait d’un meeting à l’usine Michaelson ;
ce second attentat, attribué à la sympathisante socialiste-révolutionnaire
Fanny Kaplan, affole les bolcheviks. Menacés de toutes parts, ils décrètent, le
6 septembre, la Terreur rouge et font fusiller plusieurs centaines d’otages.
Staline, le 31 août, termine un court message confiant à Lénine (« Nos
affaires sur le front vont bien ») par une formule chaleureuse
inhabituelle : « Je serre la main de mon cher et bien aimé Ilitch »,
puis annonce par télégramme, en réponse à cet attentat, « l’organisation
de la terreur ouverte et systématique contre la bourgeoisie et ses agents [298] ».
À Tsaritsyne, dès lors, la Tcheka, sous son contrôle,
découvre un complot par jour. Quiconque arguë d’une difficulté technique à
exécuter une directive est coupable de trahison ou de sabotage. Les victimes,
entassées sur une barge, sont fusillées ou noyées. C’est Carrier de Nantes sur
la Volga. La barge de Staline et ses pelotons d’exécution restaurent l’ordre
dans Tsaritsyne effarée.
La Tcheka y fusille en septembre et octobre 103 comploteurs,
dont 21 accusés d’avoir organisé un complot de SR de droite et de cent-noirs
(organisateurs de pogroms au début du siècle) et voulu susciter une
insurrection dans la nuit du 17 au 18 août. Un historien russe affirme que
Staline fit fusiller le très loyal ingénieur Nicolas Alexeiev et que, les
soldats se refusant à fusiller ses deux fils de 14 et 16 ans, il les
persuada de tirer, par une ruse grossière mais efficace : ce sont, leur
dit-il, les deux fils du général Alexeiev, le chef de l’Armée blanche des
volontaires. L’épisode est plus que douteux : l’un des deux « fils »
était un ancien officier ! En revanche, le collège de la Tcheka de
Tsaritsyne, dans les neuf premiers jours de novembre, après le départ de
Staline, libérera l’écrasante majorité du millier de détenus dont il examinera
alors le cas. Staline parti, la machine répressive ralentit.
Si Nadejda, enfermée dans son wagon, n’entend que le bruit
des fusillades, son frère Fiodor assiste à
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