Staline
subordination au Comité militaire
révolutionnaire est absolument indispensable [302] ».
Le 3, Staline esquive en dressant dans une longue lettre à Lénine un acte d’accusation
politique contre Trotsky, dans lequel, pour se gagner Lénine, il ressuscite les
querelles politiques d’avant 1917 et les désaccords sur
Brest-Litovsk : « Trotsky ne peut se passer de gesticulations
criardes. À Brest, il a porté un coup à la cause par sa gesticulation
incroyablement gauchiste. Avec les Tchécoslovaques, il a aussi nui à la cause
par sa gesticulation diplomatico-criarde au mois de mai […]. Trotsky ne peut
pas chanter sans fausse note, ne peut pas agir sans gesticulations criardes […].
Trotsky, qui n’est entré qu’hier dans le Parti, s’efforce de m’apprendre la
discipline du Parti […]. Je ne suis pas un amateur de bruit et de scandales,
mais je sens que si nous ne mettons pas aujourd’hui une bride à Trotsky, il
nous gâchera toute l’armée au profit d’une discipline "gauchiste" et
"rouge" qui donne la nausée aux camarades les plus disciplinés. Il
faut donc brider Trotsky maintenant, avant qu’il ne soit trop tard, et le
rappeler à l’ordre [303] . »
Le 4, Trotsky exige son rappel à Moscou. Le 5, le chef de l’état-major,
Vatsetis, télégraphie à Trotsky : « Les activités de Staline sapent
tous mes plans [304] . »
Lénine est prêt à laisser Staline faire contrepoids à Trotsky, dont l’influence
politique grandit, mais n’est nullement décidé à le laisser instaurer la
zizanie et ouvrir le front aux Blancs. Le 6, il envoie Sverdlov le chercher par
train spécial. Nadejda Alliluieva revient avec lui à Moscou, adhère au Parti et
se fait engager au secrétariat du Conseil des commissaires du peuple, dont le
secteur technique est dirigé par Lydia Fotieva, une jeune femme discrète, qui
jouera un rôle capital dans le conflit entre Lénine et Staline quatre ans plus
tard. Trotsky descend à Tsaritsyne, réunit les indisciplinés, dénonce le
désordre et les actes de désobéissance, annonce la fin de cette anarchie et
confirme la nomination à la tête du front de Sytine, que Staline, à Moscou,
qualifie d’individu inutile, indigne de confiance et nuisible, mais dont il dit
accepter la désignation. Dans un premier temps, Vorochilov ne publie pas cet
ordre et joint au téléphone Staline, qui voit dans le texte « un reproche
immérité » et non un ordre, propose néanmoins de le publier, puis répond
aux objections de ses deux associés par un conseil sibyllin qui dégage sa
responsabilité : « Agissez comme votre conscience et votre
rationalité vous le suggéreront [305] . »
Les deux hommes l’informent aussi que 55 cadres de l’armée réunis par eux
demandent au Comité central de « réviser la politique consistant à
admettre dans nos rangs des généraux et de convoquer un congrès pour réviser et
juger la politique du Centre [306] »,
ainsi confronté à une véritable rébellion organisée.
Finalement, le Comité central destitue de leurs fonctions
Vorochilov et Staline, à qui la chance sourit pourtant : pendant son
retour, l’Armée rouge reprend Tsaritsyne. Il s’en attribue le mérite, affirme
qu’il a sermonné Vorochilov, et déclare qu’il aimerait beaucoup travailler sur
le front Sud avec Trotsky, à qui Lénine écrit qu’il juge indispensable de s’efforcer
à tout prix d’organiser un travail commun avec Staline, frondeur, rétif et
sournois, mais obstiné. Deux mois plus tard, Staline, qui ne supporte pas l’idée
d’être contrôlé, se venge. Il fait accuser l’impudent Okoulov de désorganiser l’armée
du Sud et obtient de Lénine sa révocation.
Sans doute pour apaiser Trotsky, il publie dans la Pravda du 6 novembre, à l’occasion de l’anniversaire d’Octobre, un article dans
lequel il écrit : « Tout le travail d’organisation pratique de l’insurrection
fut accompli sous la direction immédiate du camarade Trotsky, président du
soviet de Petrograd », à qui Staline ami-bue « le passage rapide de
la garnison du côté du soviet ». Ce paragraphe, supprimé dans le tome III
de ses Œuvres complètes, réduit en fait Trotsky au rôle d’exécutant
technique. L’article contient deux habiles falsifications. À l’en croire, « l’organe
central du Parti, le Rabotchi Pout (dont il était le rédacteur en chef),
soumis aux instructions du Comité central, se mit à appeler ouvertement à
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