Staline
quelques semaines, a organisé la défense de
Tsaritsyne, préservé la route de l’approvisionnement du Sud, et empêché la
jonction entre les cosaques de Krasnov et les troupes blanches de l’Est.
Snessarev se promène en uniforme de général de l’Empire avec les fameuses
épaulettes, tant haïes des soldats qui les clouent volontiers dans les épaules
des officiers blancs capturés. L’assurance de ce ci-devant déplaît à Staline.
Le 16 juillet, dans un long télégramme à Lénine, il l’accuse de « saboter
très habilement l’opération de nettoyage » d’une ligne de front et de « s’efforcer
assez délicatement de ruiner l’entreprise [293] ».
Aucun fait ne confirme ces insinuations. Le lendemain, Staline télégraphie à
Trotsky sa volonté d’éloigner Snessarev et de créer un conseil militaire ayant
des fonctions opérationnelles avec Vorochilov, braillard incompétent, et son
camarade Minine, le président du soviet de Tsaritsyne.
À mille kilomètres de là, au sud, la commune de Bakou,
dirigée par des commissaires du peuple bolcheviks et SR de gauche, est menacée
par l’armée turque, les moussavatistes (nationalistes azerbaïdjanais) et des
régiments britanniques. Moscou envoie six régiments pour les soutenir. Leur
route passe par Tsaritsyne. Staline les retient. La commune de Bakou est
dirigée par deux vieux bolcheviks qu’il déteste : Chaoumian, dit « le
Lénine du Caucase », orateur populaire, et Djaparidzé, agitateur de masse.
Privée de ce renfort indispensable, elle tombe quelques semaines plus tard à la
mi-août ; 26 commissaires du peuple sur 27 seront capturés par
les Anglais, attirés par le pétrole de Bakou, et fusillés le 20 septembre 1918.
Staline s’acharnera plus tard à les accuser de lâcheté. En 1937, il menacera le
seul survivant, Anastase Mikoian, en jugeant « obscures et embrouillées »
les circonstances de sa survie et en lui susurrant : « Ne nous oblige
pas, Anastase, à débrouiller cette histoire », histoire sur laquelle
Mikoian ne s’expliquera jamais clairement.
Le 1 er août, le gouvernement décrète la
mobilisation générale des hommes de 18 à 40 ans. Comme dans la Vendée de
1792, cette mesure, couplée avec les réquisitions de blé, suscite de vives
résistances à la campagne. La forme passive la plus fréquente est la désertion :
des paysans se laissent enrôler à la fin de l’automne, restent à l’armée l’hiver
pour être nourris, voire vêtus, gratuitement et s’enfuient en masse à la saison
des semailles et surtout des moissons. Les paysans renâclent encore plus à se
laisser enrôler par les Blancs hostiles au partage des terres. Mais les armées
blanches, formées d’officiers en nombre plus réduit mais mieux entraînées, sont
moins affaiblies par ces difficultés ; elles seront, de plus, largement
fournies en armes modernes par les Alliés après l’effondrement de l’Allemagne
en novembre 1918.
L’instabilité des armées en lutte est chronique :
lorsque les Blancs avancent, des détachements de soldats rouges passent dans
leurs rangs et reviennent dans l’Armée rouge en entraînant des indécis quand
les Blancs, qui fouettent, torturent et fusillent les paysans réfractaires, se
replient et s’enfuient. Ainsi, la Tcheka de Tsaritsyne arrête en novembre 3 000 soldats
rouges passés dans l’armée de Krasnov et fusille les 50 meneurs ou réputés
tels.
Staline et Vorochilov dénoncent un complot monarchiste
dirigé par deux officiers tsaristes ralliés, dont le très douteux Nossovitch,
et les arrêtent. Trotsky les libère. Lénine télégraphie à Staline son désaccord
avec ses méthodes expéditives. À la fin de juillet, Staline concentre tous les
pouvoirs civils et militaires à Tsaritsyne. Vorochilov et lui ignorent les
ordres émanant de Trotsky. Ils sont mus par une aversion de plébéiens parvenus
envers les gradés et les spécialistes militaires, et par l’hostilité politique
de vieux cadres bolcheviks contre Trotsky, l’intrus qui parade au premier plan
et veut construire l’Armée rouge avec des officiers de carrière.
Staline et Vorochilov expriment un sentiment largement
partagé dans l’Armée rouge : tout au long de l’année 1917, les
bolcheviks se sont appuyés sur les soldats et les sous-officiers hostiles à la
guerre contre le corps monarchiste et patriote des officiers auxquels on leur
demande aujourd’hui d’obéir. Alors que les
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