Staline
choisit minutieusement ses hommes en fonction de
leur fidélité personnelle ou de leur vulnérabilité. Son premier chef de bureau
du Secrétariat du Comité central est Amaiak Nazaretian, ancien membre du
collège du commissariat aux Nationalités depuis 1918, ancien secrétaire du
Bureau caucasien du Comité central et commissaire à la Justice et aux Finances
de Géorgie, de 1920 à 1922. Cet ami intime d’Ordjonikidzé lui écrit souvent et,
dans ses lettres, appelle toujours familièrement Staline « Koba » ou « Sosso » ;
il insiste sur sa rigueur (« Koba me dresse vigoureusement »), sur
son caractère complexe (« Il est très rusé, ferme comme une noix, tu n’arrives
pas tout de suite à le déchiffrer »), mais aussi sur sa gentillesse (« Malgré
toute la sauvagerie raisonnable, si j’ose ainsi m’exprimer, de son caractère, c’est
un homme doux, qui a du cœur et sait apprécier les qualités des gens [404] »). Il sait
donc séduire s’il le faut.
Staline le limoge, en décembre 1923, pour une erreur
commise par un de ses adjoints et le remplace par Ivan Tovstoukha, qui a
appartenu lui aussi, de 1918 à 1921, au collège du commissariat aux
Nationalités dont il a été le secrétaire. En l’absence fréquente de Staline, il
a même fait tourner la machine. En 1921, il passe dans l’appareil du Comité
central ; à la fin de 1923, il dirige, et ce jusqu’en 1930, le bureau du
Secrétariat du Comité et la « Section secrète » constituée en 1926. C’est
un homme de bureau, mais aussi un bourreau de travail, cultivé, instruit, qui
collabore avec Kamenev à la préparation et à la publication de la première
édition, dite « jaune », des Œuvres complètes de Lénine pour
laquelle il rédige des notices biographiques précises. Au début des années 1930,
Staline interdira cette édition, et la fera même confisquer par le NKVD à tous
les membres du Bureau politique qui la possédaient.
Lev Mekhlis, de 1907 à 1914, a appartenu, à Odessa, au parti
social-démocrate juif sioniste Poale Zion et n’a rejoint les rangs du parti
bolchevik qu’au début de 1918. En janvier 1921, il est nommé chef de la
chancellerie du Conseil des commissaires du peuple puis, en octobre, il est
affecté à l’Inspection ouvrière et paysanne, où Staline apprécie cet homme
froid, sec, dur et docile. Mekhlis s’attachera à expier le sionisme de sa
jeunesse et à le compenser par une soumission servile à Staline, qui le traite
comme un domestique. Lorsqu’il veut allumer sa pipe, Staline le convoque par
téléphone et lui réclame sèchement : « Des allumettes ! »
Mekhlis, las de ce petit jeu, installe un jour sur le bureau de Staline un
téléphone spécial portant une étiquette « Allumettes » et, lorsque la
sonnerie résonne, envoie un courrier porter les allumettes. Staline, mécontent,
l’appelle alors sur la ligne normale et, lorsque Mekhlis se présente à lui,
exige dans un sourire moqueur : « Camarade Mekhlis, des allumettes ! [405] » Un jour,
Staline entre dans son bureau, crie : « Mekhlis ! » et
montre du doigt dans le couloir une feuille de papier que l’autre court
ramasser. Staline se plaît à mettre à l’épreuve son empressement de laquais [406] .
S’efforçant d’imiter Staline, Mekhlis rudoie sèchement ses
subordonnés : « Faites ça. Tout est clair ? Allez. » En
1926, dans un sanatorium, il joue aux échecs avec le général Iakir. Ils se
disputent. Iakir le traite de « larbin de Staline ». Mekhlis le
gifle. Il est l’un des membres les plus représentatifs de la meute que Staline,
dès le début des années 1930, lance aux trousses de l’appareil pour le
surveiller, le harceler, le secouer, le tenir en haleine, le terroriser. L’ancien
ministre de l’Agriculture Benediktov, trente ans après la mort de Staline, en
parlera en ces termes : « Staline utilisait Beria ou Mekhlis comme
des espèces d’épouvantails pour empêcher les dirigeants de tout rang de se
laisser aller à la nonchalance, à la fainéantise, à l’insouciance et à tous nos
défauts. » Et il ajoute : « Cette méthode peu séduisante était
efficace [407] . »
Grigori Kanner, fils d’une riche famille bourgeoise de
Bakou, vient lui aussi de l’Inspection ouvrière et paysanne. Staline le prend
dans son secrétariat dès avril 1922. Cet homme, chargé de la
correspondance et des relations entre Staline, le Bureau politique et
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