Staline
engager une bataille sur ce point.
Staline l’a compris. Quand, le 7, Lénine demande à Fotieva les épreuves du
volume consacré au recensement, elle lui répond : « Il faut la
permission de Staline [432] . »
Il évoque ensuite la commission géorgienne, et l’Inspection ouvrière et
paysanne. Ce jour-là, le médecin Kojevnikov trouve chez lui « une énorme
amélioration ». La perspective d’un combat difficile éveille ses dernières
forces. Le 7 au soir, il dicte l’article « Mieux vaut moins mais mieux »,
dans lequel il dénonce l’Inspection comme foyer de désorganisation dont on ne
peut rien attendre de bon. Il constate que la productivité du travail de la
paysannerie soviétique est extrêmement basse, que la Russie a été « rejetée
en arrière », et il lui donne comme objectif modeste de « tenir jusqu’à
la victoire de la révolution socialiste dans les pays plus avancés […] jusqu’au
prochain conflit militaire entre l’Occident impérialiste contre-révolutionnaire
et l’Orient révolutionnaire et nationaliste [433] ».
Mais la bureaucratie naissante a besoin de perspectives nationales plus
exaltantes. Le 9, Lénine signale à Fotieva, qui en informe Staline, qu’il
soumettra la question de l’Inspection au prochain congrès. Boukharine bloque la
parution de son article. Dans les coulisses du Bureau politique, Kouibychev
propose d’éditer un faux numéro de la Pravda destiné au seul malade… C’est
évidemment irréalisable. Et l’article sortira finalement dans la Pravda du 4 mars.
Au Comité central qui se tient du 21 au 24 février,
Trotsky accuse Ordjonikidzé, Vorochilov et Kalinine de ne rien comprendre à la
question nationale. Il attaque les proconsuls de Staline, mais pas directement
ce dernier, à qui la majorité du Comité central inflige néanmoins un camouflet :
elle constitue, en effet, une commission sur la question nationale et sur les
problèmes d’organisation présidée par Staline, qui devra soumettre ses thèses à
Lénine (si les médecins l’autorisent) et, en cas de désaccord avec ce dernier,
devra convoquer une séance extraordinaire pour trancher. Lénine, malade,
immobilisé, isolé, espionné, inflige sa deuxième défaite en deux mois à
Staline, dont la majorité au Comité central est incertaine, comme l’est l’issue
du prochain congrès. Seule la mort de Lénine peut dissiper la menace qui pèse
sur lui. Pendant ces semaines, Staline déambule, tendu, silencieux, la pipe
vissée entre les dents.
Du 14 février au 3 mars, les secrétaires de Lénine
dépouillent le dossier géorgien et lui transmettent leur rapport le 3 mars.
Des pièces ont bizarrement disparu, comme la plainte du militant frappé par
Ordjonikidzé. Fotieva s’étonne ; le président de la commission de
Contrôle, Soltz, prétendue « conscience du Parti », lui répond :
pas d’importance, nous avons le témoignage de Rykov présent à la scène (… et
pleinement solidaire du boxeur Ordjonikidzé !). Malgré ces disparitions,
dont l’origine est évidente, la lecture du dossier provoque un choc chez
Lénine, qui, le surlendemain, en subit un deuxième, plus rude encore.
Ce 5 mars, par un court billet, il demande à Trotsky de
prendre en charge « l’affaire géorgienne » et d’adresser au congrès
du PC géorgien alors en cours une lettre ou une déclaration. Voloditcheva,
chargée de téléphoner à Trotsky la demande de Lénine, transmet à ce dernier une
étrange fin de non-recevoir : « Trotsky a répondu que, comme il était
malade, il ne pouvait pas prendre sur lui une telle obligation, mais [que]
comme il espérait se rétablir rapidement, il demandait de lui envoyer les
documents […]. Il les lirait si sa santé le lui permettait […]. Il dit qu’il
avait de violentes douleurs, qu’il avait eu de la peine à s’approcher du
téléphone […] qu’il ne pouvait pas travailler en ce moment, qu’il ne savait
même pas s’il pourrait intervenir au congrès, qu’il était positivement paralysé [434] . » Ce
Trotsky gémissant sur ses douleurs et incapable même de lire est un peu trop
caricatural. On devine la main de Staline derrière ce billet destiné à donner à
Lénine, impuissant et paralysé, le sentiment d’être abandonné de tous. Si
Trotsky avait répondu à Lénine par une fin de non-recevoir, ce dernier ne lui
aurait pas transmis le lendemain une copie de son ultime message, le bref
billet qu’il
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