Staline
grossier.
Trotsky refuse et suggère que Staline s’en charge. Celui-ci se récuse à son
tour et offre le rapport à Zinoviev, qui accepte avec joie. Avant le congrès,
une déclaration anonyme largement diffusée dénonce les violations de la
démocratie par la direction, réclame la levée de l’interdiction des groupements
ou fractions internes, exige la distinction des activités et fonctions du Parti
et des soviets, du Comité central et du gouvernement, et demande dans l’immédiat
d’« écarter un ou deux responsables du groupe dirigeant aux dispositions
fractionnistes les plus nettes (ceux qui décomposent le plus le Parti, qui
contribuent le plus au développement du bureaucratisme sous le couvert de
phrases hypocrites), à savoir : Zinoviev, Staline, Kamenev [445] ».
Délivré de la menace de Lénine, Staline rompt le compromis
passé avec Trotsky, que ce dernier respecte pourtant jusqu’au bout. Le 29 mars,
il fait signer à tous les membres du Bureau politique une lettre collective
contre Trotsky, adressée à l’ensemble des membres du Comité central. C’est un
acte d’accusation. Sur la Géorgie, cette lettre, d’une rare hypocrisie, affirme :
« Bien que la majorité des signataires [on ne sait pas qui] considèrent
les précédentes décisions du Comité central comme n’étant pas correctes en tous
points [on ne sait pas lesquelles], le camarade Trotsky porte l’entière
responsabilité de ces erreurs [446] . »
Staline fait payer à Trotsky son attitude conciliante en soulignant son
isolement dans la direction. Si Trotsky bouge, tout le Bureau politique lui
tombera dessus et invitera le Comité central à l’imiter. Le voilà prévenu.
Staline, enfin, affermit son contrôle du congrès. Les instructeurs,
dépêchés partout par la commission d’affectation du Secrétariat dirigée par
Kaganovitch, ont bien fait leur travail : chargés de vérifier et contrôler
l’activité des cadres et de proposer leur maintien, leur révocation ou leur
réaffectation, ils ont en quelques mois normalisé l’appareil local, qui n’est
plus élu mais désigné par la commission de Kaganovitch, laquelle soumet toutes
ses propositions à Staline. Pour la première fois, dans presque toutes les
conférences provinciales, le secrétaire présente au vote une liste bloquée de
candidats à la délégation, établie par lui-même et son équipe. Toute liste
concurrente ne pourrait être que le produit d’une fraction, or les fractions
sont interdites depuis 1921… Un militant peut toujours, certes, se présenter
individuellement, mais face à une liste de la direction régionale qui l’a
écarté, il n’a aucune chance. Or, depuis l’été 1922, les secrétaires
provinciaux eux-mêmes sont « élus » sur recommandation nominale du
Secrétariat du Comité central, c’est-à-dire en fait désignés par lui. C’est
donc le Secrétariat qui a désigné la majorité des délégués à ce congrès, très
exactement 83 % ! 55 % de ces délégués étant des permanents du
Parti, leur indépendance à l’égard du Secrétariat est très faible. Ils ne sont
pas encore tous pour autant des instruments dociles du Secrétaire général, mais
le mécanisme mis en place permettra d’y parvenir vite. Trotsky dénoncera cet
état de fait dans une lettre du 8 octobre 1923, six mois après le
congrès. Un peu tard. Le pli est pris.
Le contrôle de Staline n’est pourtant pas encore absolu. Les
salutations aux chefs historiques adressées au congrès célèbrent Lénine,
Trotsky, Zinoviev, Kamenev, et une seule fois Staline, en dernière position. En
outre, le rapport de Trotsky sur les questions économiques est accueilli, selon
la Pravda, par « des applaudissements tempétueux et longtemps
ininterrompus » que Vorochilov, à la tribune, déclare « inconvenants ».
Lorsque Trotsky est entré dans la salle suivi de Radek, il a crié : « Tiens,
voilà le Lion [Lev veut dire lion et Léon] suivi de sa queue. » Radek lui
a aussitôt répondu par un quatrain moqueur :
Vorochilov a une grosse tête en bois
Toutes ses pensées y traînent en tas
Et mieux vaut être la queue de Léon
Que de Staline le croupion.
Trotsky ne livre pas bataille au congrès. Dans Ma vie, il affirme qu’il l’aurait à coup sûr emporté s’il l’avait fait. Mais s’il ne l’a
pas fait, c’est qu’il en doutait. Dans ces conditions, le Tatar Sultan-Galiev,
soutenu par le seul Boukharine, est bien
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