Staline
Staline, décèle une « fissure » entre l’appareil de l’État
et celui du Parti, qui durera, dit-il, aussi longtemps que Rykov dirigera l’État.
Le Comité central exclut Rykov du Bureau politique et le remplace par Molotov à
la tête du gouvernement.
Une nouvelle période s’ouvre alors dans les sommets de l’État
et du Parti. Les oppositions politiques n’y ont plus aucun représentant.
Refoulées à ce niveau, elles s’expriment d’abord par d’éphémères regroupements
semi-clandestins de mécontents que Staline démantèle à l’aide du Guépéou. Le
Bureau politique, ainsi nettoyé de tout opposant, et le Conseil des
commissaires du peuple, aussi bien épuré, ne connaissent plus que des conflits
internes entre clans bureaucratiques. Staline les arbitre et franchit du même
coup un nouvel échelon dans sa course au pouvoir absolu. Les membres de sa
fraction s’affrontent désormais en tant que représentants de tel ou tel bureau,
de tel ou tel ministère dans la chasse aux crédits. Ordjonikidzé en réclame
toujours plus pour l’industrie lourde, clé du plan quinquennal, et Kaganovitch
pour les transports. Les conflits sont parfois violents. Ordjonikidzé tape
souvent du poing sur la table, n’hésite pas à hurler. Un jour, il se jette sur
le commissaire aux Finances Rosengoltz et menace de le frapper. Le président du
Gosplan tente de s’interposer, mais ne parvient pas à maîtriser l’homme et le
conflit perdure. Le dernier mot devrait revenir au président du Conseil
Molotov, mais l’appareil d’État étant subordonné à celui du Parti, ces
querelles trouvent leur solution… au Bureau politique. C’est donc Staline qui
tranche. Kaganovitch décrit le mécanisme : « J’exigeais plus de
trains, plus d’investissements, mais Mejlaouk, le président du Gosplan,
refusait et Molotov le soutenait […]. Je me battais avec Molotov, tout comme
Ordjonikidzé, dit-on, le faisait. […] nous allions nous plaindre à Staline.
Cela irritait Molotov […] mais nous considérions que le Bureau politique était
l’instance suprême [650] . »
La position d’arbitre de Staline lui permet d’imposer ses
décisions et ses goûts. Il entend ainsi imprimer sa marque dans le domaine de l’architecture.
En décembre 1922, Kirov avait proposé de construire un gigantesque palais
des Soviets, puis l’idée s’était perdue. Staline la reprend en 1931. Il
organise un concours du meilleur projet, crée une Direction de la construction
du palais et un Conseil de la construction, présidé par Molotov en personne. La
radio et la presse mènent grand tapage sur ce projet grandiose de Staline, qui
veut un palais de 420 mètres de haut, une statue de Lénine de 100 mètres
et une grande salle de réunion de 21 000 places. Pour libérer l’espace
nécessaire à cet édifice grandiose, Staline fait sauter à l’explosif la
cathédrale du Saint-Sauveur. Mais, symbole d’un gigantisme artificiel, le
palais des Soviets où il voyait « le triomphe d’une démocratie de millions
d’hommes » ne dépassera pas le stade des maquettes et du trou béant laissé
par l’ancienne cathédrale.
Staline commet alors un autre acte de vandalisme, moins
remarqué mais plus remarquable, parce qu’il symbolise la substitution graduelle
du nationalisme russe à l’internationalisme. Il fait dynamiter l’obélisque de
la Liberté dressé face au soviet de Moscou en l’honneur de la première
Constitution soviétique de juillet 1918, et fait ériger à sa place une
statue du prince Iouri Dolgorouki, roi de Souzdal et de Rostov au XII e siècle,
dont le cheval tourne démonstrativement sa croupe vers l’Institut du
marxisme-léninisme. Ce sanguinaire conquérant de Kiev, qui doit son surnom de
Dolgorouki (aux mains longues) à son désir, insatisfait, de soumettre à sa loi
la libre ville marchande de Novgorod, est un modèle de chef impitoyable.
La tension provoquée par la collectivisation forcée et l’industrialisation
au galop est telle que, au cours de l’été de 1931, Staline se décide à
infléchir sa politique et esquisse une éphémère période de mini-réformes visant
à relâcher la pression exercée sur les « spécialistes bourgeois »
depuis le procès de Chakhty. Le 10 juillet 1931, le Bureau politique
condamne la chasse aux cadres, ingénieurs et techniciens, ordonne la libération
de tous les spécialistes arrêtés, en priorité dans la métallurgie et
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