Staline
village, dont son propre père. Le journal
appelle les jeunes pionniers à faire la chasse aux « voleurs » (de
pommes de terre ou d’épis de blé) qui chapardent pour nourrir leurs propres
enfants. Les enfants dénonciateurs, dont la presse publie des listes, sont
invités à signaler les « trotskystes » qui rôdent par les chemins et
par les rues et que l’imagination enfantine multiplie à l’envi. Un petit
Roumiantsev, convaincu que son père « nuit à la classe ouvrière », se
résout, après deux jours d’hésitation, à le dénoncer, puis, une fois lancé,
dénonce son propre frère.
À la veille du congrès, on l’a vu, Staline réorganise le
Secteur secret du Comité central que le XVII e congrès
transforme en secteur particulier, chargé de gérer toutes les décisions du
Bureau politique et de servir Staline personnellement. Le 10 mars 1934,
il désigne Poskrebychev à sa tête, en remplacement de Tovstoukha, malade,
désabusé, et qui mourra l’année suivante, usé avant l’âge. Poskrebychev
deviendra vite le cerbère de Staline : c’est lui qui filtre les visiteurs
dans son bureau du Kremlin, classe son courrier puis trie le flot de lettres reçues.
Le XVII e congrès, en janvier 1934, est
proclamé « congrès des vainqueurs » : la paysannerie russe a bel
et bien été brisée. Mais ce congrès est surtout celui du culte de la
personnalité, du bluff et de la division derrière une unité de façade. Staline
célèbre sur des accents de triomphe « la liquidation des restes des
groupes antiléninistes ». « Le groupe trotskyste antiléniniste,
explique-t-il, a été défait et dispersé […]. Le groupe antiléniniste des
déviationnistes de droite a été défait et dispersé […]. Les groupuscules
déviationnistes-nationalistes ont été battus et dispersés. […] Le Parti est uni
comme il ne l’a jamais été [731] . »
L’autocritique de neuf anciens dirigeants des oppositions vaincues prononcée à
la tribune semble confirmer ce bilan.
Côté cour, il parachève la transformation, entamée en 1930,
du congrès en cérémonie pompeuse : tous les orateurs sans exception
célèbrent Staline, dont le nom est cité avec enthousiasme plus de 1 500 fois
par l’ensemble des orateurs. Certains se distinguent tout
particulièrement : Zinoviev le cite 25 fois, Kamenev 26 fois,
Ordjonikidzé 33 fois, Kossior 34 fois, Mikoian 41 fois, et
Kaganovitch, le recordman, 64 fois ! Les anciens opposants présents
font acte de contrition. Boukharine salue en Staline « l’incarnation
personnelle de l’intelligence et de la volonté du Parti » et s’affirme
ravi que les « suppôts des courants antipartis, dont toute une partie de
mes anciens élèves, aient reçu le châtiment mérité [732] » ;
ils croupissent alors en prison ! Zinoviev se vautre dans la
flagornerie : « Les meilleurs représentants de la paysannerie d’avant-garde
se précipitent à Moscou, au Kremlin, pour voir le camarade Staline, le palper
des yeux et peut-être même de leurs mains, pour recevoir de sa bouche des
indications qu’ils s’efforceront d’incarner dans les masses [733] . » Staline
ne peut croire à la sincérité de ces cris d’adoration, poussés par des hommes
qui pensent, grâce à cela, pouvoir continuer à fréquenter les sommets d’un
appareil nullement disposé à les laisser jouer un quelconque rôle politique,
mais qui voit dans leur présence au congrès le signe heureux d’une détente.
Staline les utilise pour conforter cette illusion.
On entend quelques notes discordantes aussi. Dans son
rapport, il a minimisé le danger nazi et dénoncé la trahison des
sociaux-démocrates. Boukharine se permet, au contraire, d’insister sur la
menace mortelle que représente le nazisme pour l’URSS, se mettant ainsi en
travers du jeu diplomatique secret que Staline mène avec Hitler. Preobrajenski,
plus subtil encore, n’en irrite que davantage Staline : cet homme aux
traits fins, à l’humour vif, qui avait conduit, sans l’aide d’un Trotsky
malade, le combat de l’Opposition de gauche, dix ans plus tôt, suscite l’hilarité
du congrès aux dépens de Staline. Il ridiculise l’unanimité stalinienne en
feignant de l’exalter. Les délégués, qui éclatent de rire, ne s’y trompent pas.
Preobrajenski vient d’expliquer : J’ai compris aujourd’hui ce que je n’avais
pas saisi il y a dix ans ; pour bien voter, l’important n’est pas
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