Staline
de
chercher à comprendre le texte, mais de voter comme le chef, même si tu as des
réserves ou des doutes. Et il félicite Staline d’avoir réalisé dans le Parti
une unité jamais obtenue par Lénine. Un pareil discours, prononcé au congrès
suivant, dit Oleg Khlevniouk, y aurait été pris au premier degré par les
promus. Dans celui-ci, où 80 % des délégués ont adhéré au Parti avant 1920,
tout le monde en saisit le sens réel [734] .
L’incident, en lui-même de peu d’importance, confirme à Staline les failles de
son encadrement.
Côté cour encore, Staline bluffe sans vergogne. Il annonce
ainsi en 1933 une récolte de blé de 89,8 millions de tonnes alors qu’elle
n’a que frôlé les 69 millions. Pour dissimuler la famine de l’hiver 1932-1933,
il affirme aussi que la population de l’Union soviétique est passée de 160,5 millions
d’habitants, à la fin de 1930, à 168 millions trois ans plus tard, soit
une augmentation de 7,5 millions d’individus. Ce chiffre fantaisiste
servant de base aux calculs officiels, c’est ainsi qu’on calcule qu’en 1937 la
population frôlera les 180 millions. Or, on en sera bien loin…
À la fin de faux débats, conclus par un discours enflammé de
Kirov à la gloire de Staline, ce dernier renonce à répondre aux orateurs, car
les « débats au congrès ont manifesté la totale unité de vues de nos
dirigeants du Parti, on peut le dire, sur toutes les questions relatives à la
politique du Parti [735] ».
Que répondrait-il d’ailleurs à ces enthousiastes ?
Côté jardin, la situation est tout autre. Staline pratique l’antiphrase,
et ses accents de vainqueur satisfait, accordant le pardon aux pécheurs
repentis, cachent d’autres tonalités, plus inquiétantes. Il menace ainsi, sous
un vocabulaire antibureaucratique, les vieux cadres du Parti « qui
freinent notre travail, qui gênent notre travail et ne nous laissent pas aller
de l’avant […] des gens qui ont eu certains mérites dans le passé, des gens qui
sont devenus des dignitaires, des gens […] qui ne considèrent pas comme leur
devoir d’appliquer les décisions du Parti et du gouvernement, et qui détruisent
ainsi les fondements de la discipline du Parti et de l’État […]. Il faut sans
hésiter les chasser de leurs postes dirigeants sans avoir d’égard pour leurs
mérites passés [736] ».
Ces dignitaires repus et indisciplinés, ce sont les vieux militants de la
révolution et de la guerre civile. Ils ont soutenu Staline contre Trotsky puis
contre Boukharine, connaissent le Testament de Lénine, se souviennent que
Staline doit son maintien au poste de Secrétaire général à Kamenev et Zinoviev,
que le théoricien de la lutte antitrotskyste a été Boukharine et non Staline,
et se rappellent enfin les retournements brutaux de ce dernier face aux
difficultés. Ces vieux cadres pensent que leurs mérites passés leur donnent le
droit de contester ou d’ignorer les décisions de Staline, et ne le vénèrent que
pour la parade : entre eux, dans les couloirs ou à table, ils se
permettent bien des plaisanteries à son propos. Car ils se croient
intouchables.
Ils se trompent lourdement. Staline sait que la continuité, en
conférant une légitimité à ceux qui l’incarnent, est un atout que ses
adversaires peuvent mobiliser contre lui. C’est pourquoi, depuis 1927, il s’est
attaché à obtenir que les opposants se repentent, se confessent, se salissent
et ainsi se dénient toute autorité politique. Mais ces vieux staliniens, forts
de leur victoire commune, pourront encore lui demander : « Qui t’a
fait roi ? » Il doit donc absolument les liquider et promouvoir une
nouvelle génération. Les délégués ne prennent pas la mesure de l’avertissement
à peine voilé que Staline leur a lancé.
Quoi qu’il en soit, ces premières piques annoncent le
déchaînement prochain de la terreur contre les « vieux cadres léninistes ».
Le résultat du vote au Comité central en fin de congrès confirme Staline dans
la conviction qu’il y a urgence. Il semble bien, en effet, avoir été élu en
dernière position au Comité central (avec, selon les sources, 166, 260 ou 300 voix
manquantes sur 1 225 bulletins de vote de délégués ayant voix
délibérative). Le Secrétariat du Comité central ayant établi une liste de
candidats égale au nombre de postes à pourvoir, tous étaient élus à condition d’obtenir
au moins 50 % des voix, afin de montrer
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