Staline
s’accompagne
d’un renforcement de la répression contre les militants de base et les cadres
moyens du Parti lui-même. En février 1933, le Guépéou arrête un groupe d’anciens
boukhariniens dirigés par Slepkov, qui avouent naïvement avoir voulu, certes
pacifiquement, remplacer Staline « et son groupe » à la direction du
Parti. Staline fait organiser par le chef de la section politique secrète du
Guépéou la filature systématique des militants surpris à mener des « conversations
imprudentes. Nous savions précisément, dit un responsable du Guépéou, qui parlait
mal de Staline et où… On établissait un formulaire sur chacun ». Staline
fait constituer un fichier des membres du Parti coupables d’une remarque
critique ou d’une plaisanterie à son encontre. La purge vise tout
particulièrement ceux qui ont adhéré avant ou pendant la révolution ; elle
exclut du Parti, en moins d’un an, un peu plus de 18 % de ses 1 916 500 adhérents,
soit près de 400 000 membres, qui vivent une véritable
tragédie : après leur avoir confisqué leur carte du Parti, on les chasse,
d’ordinaire, de leur travail et de leur appartement. Ils se retrouvent à la rue
et sans travail, alors que Staline a supprimé les secours aux chômeurs en 1931…
Les suicides parmi eux se multiplient.
La modération, très relative on le voit, de la répression n’entrave
nullement l’essor du Goulag, chargé, en mars 1933, de construire des
lignes de chemin de fer, dont le BAM sibérien (la deuxième voie du
transsibérien Baikal-Amourskaia Magistral) qui, en 1935, emploiera plus de 150 000 détenus
et travailleurs « libres » pour un projet éternellement inachevé,
cimetière des grandioses réalisations staliniennes, malgré l’envoi de
contingents de déportés sans cesse renouvelés. En avril 1933, il enrichit
d’un nouvel instrument sa panoplie concentrationnaire en créant les « villages
de travail » pour kolkhoziens accusés de « saboter la collecte »,
les habitants de Moscou et de Leningrad en situation illégale et les « koulaks »
qui se sont fait embaucher illégalement dans les entreprises. Près de 200 000 détenus
creusent le canal Moscou-Volga-Don, tandis que 63 000 autres
construisent les voies ferrées de Sibérie orientale. L’entreprise se développe
à grande vitesse, mais de façon chaotique dès le début. Le désordre engendré
dans la société par l’enchevêtrement de la collectivisation, de l’industrialisation,
de la « liquidation des koulaks comme classe », de la famine, de l’afflux
des paysans dans les chantiers et les usines, des purges, est décuplé au
Goulag. Les exigences de la répression supplantent celles de la production. Un
décret du 20 avril 1933, limitant la déportation aux individus aptes
à un « travail effectivement productif », a interdit celle des
adolescents de moins de 15 ans et des vieillards de plus de 60 ans.
Mais les gradés du Guépéou n’en ont cure et entassent dans des convois ravagés
par le typhus, la dysenterie, la variole, des vieillards et de véritables
squelettes ambulants inaptes à tout travail.
Fin 1933, le Guépéou livre le Bielomorkanal, ou canal
Baltique-mer Blanche, dit canal Staline. Ce succès grandiose débouche sur l’amnistie
de 5 000 héros, qui ne ressuscite évidemment pas les 30 000 morts
de faim et de froid. Pour livrer le canal en temps voulu à Staline, le Guépéou
l’a fait creuser beaucoup moins profond que ne l’avaient prévu les ingénieurs,
et les 230 kilomètres du canal sont à peu prés inutilisables, sauf pour
des bateaux de faible tirant d’eau… et la moitié de l’année seulement. Le reste
du temps, le canal est pris par les glaces. Bluff, gâchis et sauvagerie
caractérisent cette première réalisation du Goulag. Staline y naviguera une
seule fois en grandes pompes. Aragon propose bientôt de s’en inspirer pour
rééduquer les écrivains « réactionnaires ». Une cohorte de 104 écrivains
célébrera plus tard les valeurs rééducatives de ce travail dans un volume
préfacé par Gorki, après un voyage confortable, arrosé au champagne [722] .
Revenue de l’étranger au cours de l’été 1933, la
belle-sœur de Staline, Maria Svanidzé, une intime du Guide plusieurs années
durant, participe à toutes les réjouissances familiales, aux anniversaires
comme aux fêtes de nouvel an. « Son entourage le protège tellement,
note-t-elle, qu’il
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