Staline
lui plaisait en Staline [835] ».
Pourtant, Koltsov connaissait son double jeu. Ainsi, il trouva un jour Mekhlis
feuilletant un cahier d’aveux arrachés à l’ancien rédacteur en chef des Izvestia. Mekhlis ne fournit pas les noms des victimes à Koltsov, qui figurait peut-être
sur la liste, mais lui montra la courte instruction que Staline lui avait
transmise, à lui et à Iejov : « Lire ensemble et arrêter toutes les
canailles citées ici [836] . »
L’idée qu’il figurât lui aussi sur la liste effleura le frère de Koltsov, mais
la foi de ce dernier en fut à peine ébranlée. Staline signera au cours de ces
deux années des centaines de documents de ce type, mais seuls quelques dizaines
de dirigeants en auront eu connaissance.
Le culte de la personnalité s’accompagne d’une censure
attentive aux moindres associations de phrases malencontreuses et aux moindres
coquilles typographiques. Le 14 novembre 1936, une émission de radio
fait dire à un petit pionnier : « Mon plus grand désir est d’aller au
Mausolée et de vous y voir, camarade Staline. » Le Glavlit informe Jdanov
de cet attentat verbal. Le même mois, il confisque un numéro du Journal des
sovkhozes qui a superposé les deux mots d’ordre suivants : « Nous
devons préserver la vie du camarade Staline, la vie de nos chefs » et « Il
faut anéantir toutes les fripouilles pour qu’il n’en reste aucune trace sur la
terre soviétique ». Le Glavlit présente comme sabotage délibéré la coquille
qui transforme la « petite pluie (dojd’) triste » en « petit
guide (vojd’) triste ». Le vojd’, Staline, ne peut être ni
triste ni petit. Le correcteur est limogé. Ceux qui transforment Staline en
Smaline, Slaline, Sraline et, pis encore, Ssaline, sont jetés en prison.
En Espagne, Staline comprend peu à peu que sa politique de
non-intervention, copiée sur Londres et Paris, laisse les mains libres aux
révolutionnaires espagnols de tous bords. Le 29 septembre, il change
brutalement de tactique – mais non de stratégie – et fait voter par
le Bureau politique « une aide de grande envergure » aux républicains,
alors que les troupes de Franco arrivent aux portes de Madrid. L’insurrection a
suscité un puissant mouvement populaire spontané que sa dynamique pousse
au-delà de la simple lutte militaire contre l’insurrection franquiste ; l’État,
déchiré par l’insurrection, est en miettes, le parti communiste squelettique,
les anarchistes puissants, le parti socialiste marqué par une forte aile
gauche, et le POUM, trotskysant, influent dans la Catalogne révolutionnaire.
Des communistes se sont même laissés aller à crier : « Vive les
soviets en Espagne ! » C’est du gauchisme et de l’aventurisme…
Le 17 octobre, le gouvernement républicain, confronté à
l’offensive des armées de Franco vers Carthagène, où les 510 tonnes d’or
de la Banque d’Espagne sont stockées, décide de confier celles-ci à l’Union
soviétique. Les livraisons d’armes soviétiques à l’Espagne républicaine, payées
cash par prélèvement direct sur ce trésor, seront donc à la fois un moyen de
contrôler le mouvement populaire et une affaire juteuse, dont l’historien
britannique Gerald Howson a dressé le bilan. Alors que le cours du rouble était
alors au taux fixe et immuable de 5,3 roubles pour un dollar, Moscou l’a
manipulé à sa convenance. Le Kremlin a livré les mitrailleuses Maxim au cours
de 2,5 roubles pour un dollar, doublant ainsi la facture ; il a
compté le dollar à 3,95 roubles pour les bombardiers et à 3,2 roubles
pour les chasseurs, ce qui augmente la facture d’environ 30 % dans le
premier cas et 40 % dans le second. Howson estime la surfacturation totale
à 700 millions de dollars de l’époque. Les livraisons d’armes, enfin, ont
été considérablement gonflées. Moscou affirme avoir livré 1 200 avions,
900 tanks et 2 000 pièces d’artillerie… mais Howson n’a pu
comptabiliser que 630 avions, 330 tanks et moins de 1 000 pièces
d’artillerie… Enfin, les réductions promises lors de la signature des marchés n’ont
pas été portées sur les pièces comptables. L’aide à l’Espagne républicaine a
été un véritable racket.
Cette aide permet un contrôle politique, puis une mainmise
policière brutale, sur un mouvement qui échappe d’abord au faible Parti
communiste espagnol. Or, Staline veut rassurer Londres et Paris, avec
Weitere Kostenlose Bücher