Staline
par
lesquels on peut, avant de mourir, cracher une dernière fois sur le Parti et le
tromper en quittant ce monde. » (En se suicidant, ces condamnés lui
échappent.) Puis il raille les « pleurnicheries » de Boukharine [846] . Lorsque Rykov
rejette l’essentiel des accusations portées contre lui, Staline le coupe :
« Nous ne voulions pas vous livrer au tribunal, nous vous avons épargnés,
c’est ma faute, nous avons eu pitié [847] . »
Excités par ce feint aveu de faiblesse, les orateurs suivants se déchaînent. Kaganovitch
accuse les deux hommes, trop lâches pour l’exécuter eux-mêmes, d’avoir été les
véritables instigateurs du meurtre de Kirov.
Une bonne partie du Comité central réagit avec réserve. Le 7 décembre,
Boukharine se présente comme un fidèle stalinien diffamé par les « trotskystes »
dont il dénonce le programme, « la tactique défaitiste et le recours à la
terreur » qui en découle. Pendant les interruptions de séance, Staline
organise, en présence du Bureau politique, une confrontation entre Boukharine, Rykov,
Piatakov, Koulikov et l’ancien trotskyste Sosnovski. Piatakov débite un
discours monocorde, une main devant ses yeux baissés. Ordjonikidzé lui
demande : « Vos dépositions sont-elles vraiment volontaires ? »
« Oui », répond Piatakov. « Absolument volontaires ? »
reprend Ordjonikidzé, manifestement sceptique [848] . Piatakov ne
répond rien. À la fin de la séance, Staline, feignant l’étonnement, demande à
Boukharine pourquoi les trois hommes ont tous déposé contre lui. À la suite d’une
autre confrontation, il ricane : « Un ou deux éléments des
dépositions peuvent être inexacts mais, dans l’ensemble, tout est exact.
Certains faits n’ont pas d’importance [849] . »
Il n’est pourtant pas en situation de faire prendre par le
Comité central, dont il devine les réticences, la décision de liquider les deux
hommes. C’est pourquoi il diffère la décision dans une déclaration
alambiquée : « Il faudrait peut-être les exclure du Comité central.
Cette mesure pourrait même être insuffisante, mais il se pourrait aussi qu’elle
soit trop sévère [850] . »
Le Comité central de ce 7 décembre adopte sa proposition de poursuivre l’enquête
et de remettre la décision à sa prochaine réunion. Ce demi-échec ne peut que
conforter Staline dans sa volonté de dompter et décimer cet organisme par trop
réticent, ou trop mou, de dignitaires encroûtés. Il ajoute qu’aucun compte
rendu de la réunion n’apparaîtra dans la presse. Une voix demande : « Est-ce
qu’on peut en parler ? » Staline répond : « Tu veux ligoter
les gens ? Chacun a sa langue [851] . »
À la sortie, Boukharine tente de lui rappeler ses mérites
passés. Staline l’envoie promener : « Personne ne les conteste. Mais
Trotsky aussi en a. Personne n’a, devant la révolution, autant de mérites que
Trotsky, entre nous soit dit. » Et il répète : « Entre nous soit
dit [852] . »
La confidence est menaçante. Boukharine, invité à ne pas la rapporter, n’en
comprend pas le sens : si personne n’avait autant de mérites devant la
révolution que Trotsky et si les seize du procès d’août ont été arrêtés et
fusillés pour de prétendus liens avec lui, c’est bien que les mérites devant la
révolution sont devenus une charge. La promotion des Iejov, des Beria, des
Jdanov, des Malenkov et de leurs semblables passe par la liquidation de la
génération de 1917. Boukharine, aveuglé, rejette la responsabilité de la
terreur montante sur le NKVD, qui est devenu, dit-il à sa jeune épouse, une
organisation dégénérée de bureaucrates sans idéaux, moralement déchus mais
grassement rémunérés, et qui trompent Staline. Comme il se refuse à analyser la
politique de ce dernier, il s’interroge parfois : « Peut-être que
Koba est devenu fou [853] ? »
Ce même 7 décembre, Iejov transmet à Staline les « aveux » d’un
ancien partisan de Boukharine, Koulikov, qui prétend qu’en 1932 Boukharine lui
a remis une « directive sur la nécessité de tuer Staline ».
Le 31 décembre au soir, Staline réunit le Bureau
politique, auquel il a convoqué Cheboldaiev, accusé, avec tout son entourage, d’avoir,
par myopie politique, ouvert l’accès des postes dirigeants du territoire aux « espions
et saboteurs trotskystes ». La deuxième accusation, formulée publiquement,
comme la
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