Staline
non-respect des règles de
sécurité. Les accusés sont ainsi désignés comme le mauvais œil d’une société
qui, sans eux, fonctionnerait harmonieusement. Treize d’entre eux sont
condamnés à mort, quatre autres à des peines de prison, ce qui donne au procès
une apparence de justice. Parmi eux, Radek et Sokolnikov, à qui leurs
compagnons de cellule fracasseront le crâne en mai 1939, sous l’œil passif
des gardiens, donc sur instruction orale de Staline. Au cours d’un meeting à
Paris, André Breton annonce que les prochaines victimes des « balles de l’escalier
de Moscou, en janvier 1937 », seront les anarchistes espagnols et les
militants du POUM. La prédiction se vérifiera six mois plus tard.
Les aveux et la condamnation de Piatakov atteignent de plein
fouet Ordjonikidzé qui, hostile à la campagne désorganisatrice contre le
sabotage, semble également réservé sur la liquidation des vieux bolcheviks.
Ordjonikidzé doit précisément présenter au Comité central un rapport et un
projet de résolution sur « le sabotage dans l’industrie ». Un jour,
les yeux pleins de tristesse, il confie à Boukharine, dont l’appartement est
mitoyen du sien : « Il faut tenir bon. » Il s’y efforce à sa
manière. Avant la réunion, il envoie une commission d’enquête dans trois
endroits où le NKVD dénonce du sabotage (à Kemerovo, dans l’industrie du coke
et de la chimie du Donbass, et sur le chantier de construction de l’usine de wagons
de Nijni Tajil dans l’Oural). La commission n’en découvre aucune trace. En
réponse, Staline fait fusiller Papoulia, le frère d’Ordjonikidzé, le 10 février.
Staline, se préparant à donner un essor inouï à la Terreur, doit soumettre
Ordjonikidzé, le briser ou l’écarter. Il ne peut accepter sa participation au
Comité central de la fin février, qui va être décisif, s’il n’a pas l’assurance
de sa totale docilité. Il critique alors la mollesse de son projet de
résolution et exige sa refonte. La discussion entre les deux hommes est vive.
Quelques heures après, un détachement d’agents du NKVD investit l’appartement d’Ordjonikidzé,
qui, furieux, téléphone à Staline. Celui-ci ricane : « Le NKVD peut
même venir perquisitionner chez moi [857] . »
La disgrâce est imminente.
Le Bureau politique, réuni dans l’après-midi du 17 février,
approuve les grandes lignes de son nouveau projet de rapport, mais exige des
amendements qui le durcissent encore. Ordjonikidzé en élabore une version
définitive qui désavoue ses propres tentatives de freiner la campagne sur le
sabotage et les conclusions de ses trois commissions de vérification. Ce
nouveau rapport et sa résolution d’application devraient mener logiquement à
dénoncer les membres de ces commissions comme complices des saboteurs. Ils
seront d’ailleurs plus tard presque tous arrêtés et déportés ou fusillés. C’en
est trop pour Ordjonikidzé, qui se suicide à l’aube du 18 d’un coup de
revolver. Staline, prévenu par sa femme, Zinaida, arrive aussitôt, interrompt
les lamentations de la veuve éplorée d’un vigoureux « Tais-toi, bécasse ! »
et dicte le diagnostic destiné à figurer sur le communiqué officiel, « crise
cardiaque ». « Le cœur a lâché [858] »,
ajoute-t-il… Son « diagnostic » est vraisemblable, puisque
Ordjonikidzé avait eu un infarctus peu après l’arrestation de son frère
Papoulia. Le 18 au matin, lorsque les journaux, retardés, arrivent enfin dans
les boîtes aux lettres, la femme de Rykov s’écrie en voyant l’annonce de sa mort :
« Le dernier espoir… », puis s’écroule sans connaissance.
Ordjonikidzé était dans une impasse ; partisan convaincu de Staline, mais
réticent devant ses excès, il n’avait pas d’alternative à proposer et ne
pouvait s’opposer à lui. Staline, débarrassé d’un gêneur, dissimule le suicide,
qui restera secret d’État jusqu’au XX e congrès du PCUS, en février 1956.
Le bruit a couru qu’il a fait assassiner son vieil ami. Ce n’est qu’un bruit.
Le 14 juin 1938, Staline fera fusiller la femme de Papoulia. En 1944,
il fera débaptiser les villes portant le nom du défunt. Il ressent tout de même
ce suicide opportun comme un défi.
Avec la mort d’Ordjonikidzé disparaît le dernier membre du
Bureau politique capable d’exprimer un désaccord avec Staline, d’élever une
objection, de discuter ses décisions. Lors des obsèques
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