Staline
président du Conseil
sur le prochain plan quinquennal. Dès le lendemain, Staline fait condamner ce
rapport de routine par le Bureau politique, mécontent que Molotov ait omis d’évoquer
le bilan de la discussion préalable au rapport et d’analyser des amendements
essentiels et des compléments apportés aux thèses. Bref, gommant le travail
collectif effectué, Molotov s’est approprié les amendements des autres. Le
Bureau politique (en réalité Staline, seul en état d’imposer cette exigence au
chef du gouvernement) lui demande de « corriger cette situation [925] », ce qu’il
fait le surlendemain. Ces rebuffades humiliantes se concluront en 1939 par la
mise en cause brutale de son épouse, Paulina Jemtchoujina, commissaire à la
Pêche.
Avec Kaganovitch, Staline se montre plus brutal. Lors d’un
Bureau politique qui suit le procès des chefs militaires, en juin 1937, il
l’interroge sur ses rapports amicaux avec Iona Iakir, juif comme lui, chef de
la région militaire de Kiev, à l’époque où Kaganovitch était Premier secrétaire
du PC ukrainien. Certains des militaires condamnés à mort l’ont, dit-il,
dénoncé comme membre de leur « organisation contre-révolutionnaire [926] » ; l’enquêteur
n’a pu extorquer ces « aveux », par Iejov interposé, que sur ordre de
Staline, seul apte à compromettre son ancien second.
Dans le droit fil de cette politique, il manifeste un mépris
croissant pour les instances dirigeantes. C’est ainsi qu’en 1937 il nomme
Malenkov à la tête de la section du Comité central chargée de superviser les
organismes dirigeants du Parti, alors que Malenkov n’est pas membre du Comité
central et ne l’est toujours pas, en janvier 1938, quand il y présente le
rapport sur le point essentiel de son ordre du jour. Il est donc clair que cet
organisme n’est plus rien. Membre suppléant du Bureau politique à partir de mars 1939,
Khrouchtchev ne reçoit même pas tous les documents émanant de cette instance
suprême. Staline envoie à chacun de ses membres ce que bon lui semble.
Il élimine la plupart de ses anciens compagnons. En 1937 et
1938, il fait exclure et fusiller 5 membres du Bureau politique (dont 3 dirigeants
du Parti communiste ukrainien) : Pavel Postychev, Jan Roudzoutak, Robert
Eikhe, Stanislas Kossior, Vlas Tchoubar, dont quatre à la veille même du XVIII e congrès
du Parti, ainsi mis en garde. Le moindre prétexte justifie l’élimination :
Eikhe ? Il a reçu Boukharine et sa femme lors de leur voyage dans l’Altaï
durant l’été 1935. Il a donc fait bloc avec lui. Roudzoutak ? Molotov
évoque sa faute en termes désinvoltes : il n’appartenait sans doute pas au
« complot trotsko-zinoviéviste, mais à la fin de sa vie, quand il était
mon adjoint, j’avais l’impression qu’il se la coulait douce… Il avait une
petite propension au repos […]. Il aimait la vie petite-bourgeoise :
rester assis à table, manger un morceau avec des amis, être en compagnie [927] ». Vlas
Tchoubar ? Il votait tout, appliquait tout, mais semblait manquer de
conviction. Kossior ? Il était trop mou. Et puis son frère cadet,
Benjamin, était un trotskyste convaincu que Staline a fait fusiller. Staline
épure une vieille garde qui l’a aidé aux diverses étapes de son ascension, ne
lui doit pas tout, et donc entrave son indépendance. Il rompt ce lien en
liquidant ces hommes et 70 % des membres du Comité central de janvier 1934 ;
ce faisant, il promeut une nouvelle génération qui, elle, lui doit tout et à
qui il ne doit rien.
Ce massacre du passé n’épargne pas ses proches. Il décime la
famille de sa première femme : le NKVD arrête le frère de Catherine
Svanidzé, Alexandre, et sa femme, Maria, en 1939. Lui est fusillé le 20 août 1941.
Elle est d’abord condamnée à 8 ans de camp, « pour avoir eu des
conversations antisoviétiques, condamné la politique punitive du pouvoir
soviétique et exprimé des intentions terroristes à l’encontre de l’un des
dirigeants du parti communiste et du gouvernement soviétique [928] »
(périphrase désignant en fait Staline) ; puis, le 3 mars 1942,
en pleine guerre, la Conférence spéciale du NKVD la condamne à mort, sur ordre
de Staline, seul capable d’une telle décision pour un membre de sa famille.
Elle est même immédiatement exécutée et, ce même jour, Staline fait fusiller la
sœur d’Alexandre Svanidzé, prénommée elle aussi Maria. Les
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