Staline
à Rykov, Boukharine et quelques autres qu’ils ne seront pas
fusillés s’ils avouent. Vychinski qualifie Boukharine, accusé de complot contre
Lénine en 1918, de « croisement monstrueux de porc et de renard [921] ». Le
tribunal condamne à mort 18 des 21 accusés dont Boukharine et Rykov.
Quatre jours après l’exécution, Staline organise au Kremlin
une grandiose réception en l’honneur des rescapés de la première station
soviétique polaire dérivante dirigée par Papanine. La vodka et le champagne
coulent à flots, les assiettes sont chargées de caviar. Kossarev et sa femme,
roses de plaisir, ont été invités. Au milieu du festin, Molotov prononce des
toasts en l’honneur des principaux invités, qui doivent se lever à leur tour, s’approcher
de Staline et trinquer avec lui. Il lève ainsi son verre en l’honneur de
Boudionny, d’autant plus ému que, depuis quelques jours, le bruit de son
arrestation courait dans les rues de Moscou. Il se croit sauvé, il l’est d’ailleurs.
La femme de Kossarev a la même impression, illusoire, cette fois, quand Molotov
prononce un toast en l’honneur de « notre talentueux et très prometteur
Secrétaire des Jeunesses communistes ». Alexandre Kossarev s’approche de
Staline, ils trinquent, Staline le prend dans ses bras et l’embrasse sur les
deux joues. Kossarev revient à sa place sous les applaudissements de l’assistance,
et, blême, invite sa femme à rentrer chez eux, dans la fameuse Maison du
gouvernement. Des centaines de dignitaires occupent, dans cette lourde bâtisse
grise aux 5 appartements confortables que l’écrivain Iouri Trifonov
décrira sous le nom de la Maison sur le Quai, les appartements de précédentes
victimes de la répression avant d’occuper leur cellule de la Loubianka,
Boutyrka ou Lefortovo. Kossarev raconte à sa femme la raison de son désarroi ;
lorsque Staline l’a embrassé, il lui a chuchoté à l’oreille : « Si tu
me trahis, je te tue [922] ! »
Son sort est effectivement scellé, mais Staline parachève d’abord
la liquidation des militaires. Blücher, qui commande en Extrême-Orient, où la
tension croît chaque jour avec les Japonais, sent autour de lui se redresser
des intrigues. Convoqué au Conseil militaire principal le 21 mai, et s’en
plaignant à Staline à la fin de la réunion, ce dernier lui répond avec
bonhomie : « Malheureusement les gens sont sujets à des faiblesses et
entre autres à l’envie. Partez en congé, camarade Blücher. Reposez-vous bien,
et ne faites pas attention à la médisance. Tout ira bien [923] . » Blücher
obéit, retourne à son poste. À la mi-juillet, les incidents de frontière aux
alentours du lac Hassan se multiplient avec les Japonais. Le chef du NKVD pour
l’Extrême-Orient, Liouchkov, sentant le vent tourner, s’enfuit alors au Japon.
Staline envoie à Blücher un commando composé de Frinovski, l’adjoint de Iejov,
commandant des troupes de gardes-frontières et vice-commissaire à l’Intérieur,
et de Mekhlis, l’épurateur de militaires. L’un et l’autre dressent un acte d’accusation
contre Blücher qui, le 1 er août, s’entend suspecter par Staline
au téléphone : « Dites honnêtement, camarade Blücher, si vous avez
envie réellement de vous battre avec les Japonais. Si vous n’avez pas ce désir,
dites-le franchement, comme il convient à un communiste [924] . » Les 6 et
7 août, une bataille rangée s’engage, dont l’Armée rouge sort victorieuse.
À cette occasion, Mekhlis lance, sans grand succès, le slogan que les
instructeurs politiques crieront pendant la Seconde Guerre mondiale : « Pour
Staline, pour la Patrie ». Vorochilov relève Blücher de son commandement
et envoie sa famille se reposer à Sotchi, où le maréchal est arrêté, le 22 octobre,
avec son frère et sa femme. Les enquêteurs du NKVD le rouent de coups, lui
arrachent un œil, et le maréchal, qui refuse de dénoncer qui que ce soit et de
rien avouer, meurt au cours d’un interrogatoire le 9 novembre.
Pour parachever ce vaste nettoyage, Staline s’attache enfin
à disqualifier ses principaux collaborateurs, réduits au rang de subordonnés
dociles, privés d’autonomie de réflexion et de décision. L’année 1937 est
ainsi marquée par une série de rappels à l’ordre internes visant Molotov, que
vient couronner une humiliation publique au XVIII e congrès du
Parti en mars 1939. Molotov y présente son rapport de
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