Staline
que 100 000 nouveaux
dirigeants ont été récemment promus. Cette nouvelle aristocratie embauche à bas
prix comme femmes de ménage des paysannes qui ont fui la famine, la
dékoulakisation, ou dont les maris ont été déportés. Le Précis s’adresse
à ces nouveaux cadres auxquels la purge a ouvert la voie des sommets, mais
aussi à toute la jeune génération qu’elle a brassée du haut en bas de la
société, à l’image du petit paysan Mikhail Peskov. En 1937, Mikhail a quatorze
ans ; son père, dénoncé comme koulak, se cache et mène une existence de
vagabond. Sa mère travaille à l’écurie du kolkhoze pour un salaire de misère.
Ce jeune pionnier est pourtant un enthousiaste du nouveau régime. Comme tous
ses camarades il a salué, dit-il, l’écrasement des ennemis du peuple, les
procès, la réalisation des plans quinquennaux en quatre ans, le mouvement
stakhanoviste. Sa mère, elle, « considère Staline comme le principal
responsable de tous les malheurs […] ; il liquide tous ceux qui le gênent ;
il inspire la peur à tout le monde ; […] ils ont ruiné toute la campagne ».
Mikhail tente d’avancer des objections avec passion contre ces « discours
sacrilèges [947] »,
mais en vain. Il est mûr pour le Précis, et ses camarades avec lui.
Une nouvelle génération sans lien avec le passé
révolutionnaire étant enfin promue, Staline prépare une pause. En octobre et novembre 1938,
il limoge de nombreux cadres du NKVD. Le 5 novembre, l’intendant du
Kremlin, Fiodor Rogov, major de la Sécurité d’État, tchékiste depuis juillet 1919,
se suicide dans son bureau d’une balle dans la tête. En novembre, le Bureau
politique supprime les troïkas, interdit les « opérations massives d’arrestations
et de déportations ». La purge des Jeunesses, à la fin de novembre 1938,
est la dernière phase de la « Iejovchtchina ». La terreur de masse
ayant atteint son but, Staline veut inaugurer une ère de stabilité relative.
La régulation de la terreur s’impose à lui comme une
nécessité. Bien que commandée et dirigée d’en haut, elle a obéi aussi à une
mécanique interne peu maîtrisable, qui s’emballe et échappe au contrôle du
sommet. Les services du NKVD se lancent dans une « émulation socialiste »
d’un genre spécial : c’est à qui arrêtera le plus d’ennemis du peuple.
Ainsi le NKVD de Kirghizie publie, en mars 1938, un rapport sur « Les
résultats de l’émulation socialiste entre les troisième et quatrième sections
de la Direction de la Sécurité d’État » pour février 1938. La
quatrième a opéré 50 % d’arrestations de plus que la troisième, qui, en
revanche, a transmis plus de dossiers à la « Justice », mais la
quatrième a bouclé plus d’affaires ! Selon le chef de la Sécurité de
Géorgie, Goglidzé, ce système avait été mis en place avant 1937, dans
toute l’URSS, par Iejov, avec la sanction de Staline, qui se garda bien
néanmoins d’apposer sa signature au bas d’une directive en ce sens. Il doit
désormais mettre un frein à cette frénésie policière débridée.
Mais les insuccès de la politique extérieure ne peuvent le
pousser qu’à desserrer, non à relâcher, l’étreinte. Le 30 septembre 1938,
Chamberlain et Daladier se réunissent à Munich, avec Mussolini et Hitler, en l’absence
de représentant de l’URSS. Les homélies sur la paix, dont Chamberlain est un
spécialiste, dissimulent mal un but politique que Staline devine sans peine.
Peu avant, un collaborateur de Chamberlain, Horace Wilson, grand ennemi de « l’anarchie
et de la barbarie » bolcheviques, a proposé aux Allemands un partage
commercial des Balkans : 80 pour cent pour eux et 20 modestes
pour cent pour la Grande-Bretagne. Chamberlain a une obsession : faire
barrage au bolchevisme. Daladier recevant le chargé d’affaires allemand, le 7 septembre,
lui déclare dans le même sens qu’une guerre ne profiterait qu’au bolchevisme.
Or, en octobre 1938, rien ne garantit à la Werhmacht un succès rapide,
face à une armée tchécoslovaque entraînée, bien équipée, regroupée derrière des
défenses solides de 10 000 ouvrages légers et 250 forts, armée
de chars modernes et disposant, en dehors du territoire des Sudètes, d’un appui
réel dans la population. Le pacifisme affiché de Chamberlain n’est que la forme
publique et pudique de son rêve de diriger vers l’Union soviétique la
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