Staline
et
fondateur d’une organisation terroriste trotskyste comprenant encore Ilya
Ehrenbourg et Iouri Olecha, le cinéaste Serge Eisenstein, le metteur en scène
et acteur du théâtre juif Mikhoels, les écrivains Léonid Leonov, Valentin
Kataiev, Vsevolod Ivanov, Lidia Seifoulina, Vladimir Lidine, l’acteur
Outiessov, l’académicien Oscar Schmidt. Leur agent de liaison était André
Malraux, mal récompensé d’avoir décidé d’accepter les procès de Moscou au nom
de la lutte pour l’Espagne républicaine. En fait, Staline prépare, dans le
milieu intellectuel, une opération du même type que le procès avorté des
dirigeants du Comintern et des diplomates. Puis il renoncera à cette idée.
Reste à se débarrasser des comploteurs désignés. Le NKVD fusille Isaac Babel le
27 janvier 1940, Meyerhold et Koltsov le 2 février.
Contrairement à une légende tenace, seule une minorité de
victimes, celles que Staline exhibe en public, cèdent aux tortures, au chantage
ou aux promesses. Ainsi, au premier procès de Moscou, les dossiers des accusés
sont numérotés de 1 à 38. Or, seuls 16 d’entre eux seront finalement jugés, les
autres ayant été liquidés ou ayant refusé d’avouer. Comme Ivar Smilga, arrêté
le 1 er janvier 1935, envoyant à la face des agents du
NKVD : « Je suis votre ennemi. » L’opposant sacrifiant sa pensée
et sa vie à « l’intérêt historique du Parti », comme le Roubachov du Zéro
et l’Infini de Koestler, est un mythe inspiré de la dernière déclaration de
Boukharine, à la sincérité douteuse. La preuve en est qu’il a fallu briser les
victimes et les soumettre à de longues tortures physiques ou morales, voire aux
deux à la fois, pour obtenir leurs déclarations. Quoi qu’il en soit, ces
défections expliquent le nombre de procès avortés.
L’accord des quatre à Munich, et les menaces qu’il fait
peser sur l’URSS, poussent aussi Staline à tenter de consolider un appareil du
Parti et de l’État disloqué, donc à réguler la répression, et à réhabiliter les
fonctions productives du Goulag, marginalisées par la Grande Terreur. Il
explique l’échec productif par le sabotage. Iejov, arrêté en mars 1939,
sert de bouc émissaire aux déboires économiques du Goulag. Il l’a paralysé en
abaissant les normes de production et en empêchant la mécanisation du travail !
Le 3 août 1939, il affirme avoir envoyé un nombre excessif de détenus
à Kolyma pour y saboter la mécanisation de l’extraction du minerai qui aurait
permis, dit-il, de réduire le nombre de détenus et donc le ravitaillement et
les équipements nécessaires, d’accroître l’extraction de métal, et d’en
abaisser fortement le prix de revient. « Mais la mécanisation a été
freinée de façon criminelle, toute l’extraction reposait sur la seule force
musculaire [960] . »
Le Goulag relevant du secret, Staline n’envisage pas un procès public. Mais
pourquoi exige-t-il ces aveux délirants, alors que le principe sur lequel
repose la mobilisation du travail manuel au Goulag s’oppose à la mécanisation ?
Les rarissimes machines qui s’y trouvent rouillent d’ailleurs sous les étoiles…
Beria crée un Bureau spécial technique du NKVD, confirmé par
le Secrétariat le 8 janvier 1939, chargé d’utiliser au mieux les
détenus ayant des connaissances et une expérience techniques spéciales, surtout
à des fins militaires. Le 10 avril 1939, il présente un projet de
réorganisation du Goulag en vue de réaliser 12 milliards de roubles de
grands travaux de construction au cours du plan quinquennal de 1939-1944. Il s’oppose,
comme Staline, à la libération conditionnelle anticipée des détenus méritants,
parce que cela conduit à la désorganisation du travail. Le 24 avril, Beria
explique qu’il manque au Goulag 350 000 détenus aptes au travail
physique. Les objectifs nouveaux, pour être atteints, exigent des centaines de
milliers de détenus supplémentaires. Le 10 septembre 1940, Staline
décide que les condamnés à des peines légères pour délits mineurs, jusqu’alors
incarcérés, seront livrés au Goulag dont les effectifs frôlent les 2 millions
de détenus au 1 er janvier 1941.
L’approche de la guerre conduit Staline à accélérer la
liquidation de Trotsky. À la fin de mars, le 29 ou le 31, Beria emmène un jeune
agent du NKVD, Soudoplatov, chez Staline au Kremlin. Les secrétaires ne notent
pas son nom sur le
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