Staline
sensible, dans l’économie de l’État [966] . » Malgré
son indépendance d’esprit, il n’est pas inquiété et meurt d’un infarctus en janvier 1945.
Le NKVD, il est vrai, n’a jamais lu son Journal. Vernadski y décrit avec dégoût
l’ascension des profiteurs, où il voit une erreur de Staline, et non une
politique : « Staline a commis une erreur fondamentale en détruisant,
par vengeance ou par peur, la fine fleur de son parti ; cela a causé des
dommages irréversibles, car les conditions de vie réelles provoquent un afflux
colossal de toutes sortes de voleurs qui continuent de se faufiler dans le
Parti [967] . »
Cette ascension s’accompagne d’une différenciation sociale
croissante. L’urbanisation galopante ruralise les vieilles villes, flanquées de
sinistres cités ouvrières dortoirs où s’installent en masse les paysans qui
fuient la campagne. Les camps de concentration entassent dans des baraquements
de fortune environ deux millions de déportés, condamnés à un travail forcé
épuisant et sous-alimentés. Au-dessus d’eux, la nomenklatura s’empiffre. La vie
luxueuse des hauts dignitaires frappe l’ambassadeur américain Joseph Davies. Le
10 février 1937, après un dîner à la datcha de Rosengoltz, où il a
rencontré Vorochilov, Mikoian, Vychinski qui, dit-il, a conduit « le
procès des traîtres » d’une manière admirable, Davies note, étonné : « Ces
commissaires vraiment se soignent bien [968] . »
En même temps, il répète la rumeur qui veut que Staline soit étranger à ce luxe
et que la simplicité spartiate qui est la sienne reflète une profonde rigueur
morale : « C’est l’avis de tous que Staline est un homme simple, mais
doué d’une extraordinaire sincérité et d’une incroyable capacité de travail […]
un homme digne qui mène une vie propre [969] . »
Staline ne manifeste certes aucun goût du luxe pour lui-même ; il ne coûte –
cher – à l’État que pour sa sécurité personnelle, mais il n’hésite jamais
à recourir aux grands moyens pour corrompre, et la sincérité est certainement
la moindre de ses vertus.
Le XVIII e congrès, en mars 1939,
sanctionne l’avènement de cette nouvelle nomenklatura, à laquelle Staline offre
une promotion fulgurante. En éliminant plusieurs couches de vieux cadres et
militants, il a suscité une immense aspiration vers le haut. Des jeunes, jusqu’alors
au bas de l’échelle sociale, occupent les dizaines de milliers de postes
libérés à tous les échelons par la purge massive, sans compter les milliers de
postes que Staline a créés. Ainsi, non seulement la quasi-totalité des
directions des commissariats du peuple est remplacée, mais, au lendemain du
congrès, le nombre de commissariats passe de 14 à 34 ; de même, le nombre
de Républiques de l’Union passe de 7 à 11, le nombre de territoires et de
régions de 70 à 110. À chaque fois, tout un bouquet de postes de commissaires,
de commissaires adjoints, de secrétaires, de secrétaires adjoints, de
présidents et de présidents adjoints est offert à la jeune génération, qu’un
véritable typhon emporte vers les sommets. Nombre de jeunes cadres gravissent
alors les échelons du pouvoir à une vitesse vertigineuse qui les grise.
Certains trébucheront, éliminés par leurs rivaux, dans cette course éperdue,
mais les survivants se souviendront toute leur vie de cette fièvre comme de la
période la plus lumineuse de leur existence et porteront aux nues l’homme qui
leur a ainsi dégagé la voie vers l’Olympe. C’est alors que commence la carrière
politique des Kossyguine, Brejnev, Souslov, Oustinov, Gromyko, qui dirigeront
le pays jusqu’au début des années 1980. Appuyés sur la jeune nomenklatura,
ils seront les véritables grands prêtres du culte du Chef.
Le maréchal Koulik exprime fortement ce sentiment quasi
filial à l’égard de celui qui lui a ouvert l’accès au maréchalat avant de l’envoyer,
demain, au peloton d’exécution. En 1942, accusé d’incompétence et de
désobéissance par Staline, il écrira à son maître accusateur : « Je
vous suis personnellement redevable de mon ascension. C’est vous qui, sous l’angle
politique, avez fait de l’ancien gars de la campagne que j’étais un bolchevik,
et qui m’avez donné le plus grand signe de confiance que l’on peut recevoir
dans notre pays, en me faisant entrer au Comité central [970] . » En
remplaçant Comité central
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