Staline
Bureau politique où il est invité, il écoute les discours de
Staline avec ravissement. « Après ses interventions, écrit-il, tout ce qui
était le plus compliqué et le plus incompréhensible devient compréhensible,
simple et clair [978] . »
Le 21 décembre 1939, il souligne l’attention que porte Staline à
cette jeune génération : « Le trait caractéristique du camarade
Staline, c’est sa capacité à écouter les gens. Il écoute toujours les
objections et les propositions, même, semble-t-il, les plus insignifiantes [979] . » Ce
Malychev, comme les autres « jeunes promus », se distinguera au fil
des ans par son goût des coûteux et fréquents banquets bien arrosés.
Cette attention portée aux jeunes contraste avec la
brutalité qu’il réserve aux plus anciens. Malychev note, étonné, dans son
Journal, le 13 septembre 1939, qu’à la réunion du Comité de la
défense Staline a étrillé Kaganovitch « pour son incapacité à affecter
correctement les gens [980] ».
D’ailleurs, il lui a été interdit de muter les cadres tous les mois. Il accuse
ainsi Kaganovitch de désorganiser le travail de son propre secteur. Staline
donnera lui-même la clé de cet acharnement contre les anciens en deux
occasions, qu’enregistre Malychev. Le 17 janvier 1941, après la
réunion du Bureau politique, il invite les participants à boire dans son
appartement. Au cours de la beuverie, qui dure jusqu’à sept heures du matin, il
porte un toast « aux vieux qui transmettent de bonne grâce le pouvoir aux
jeunes et aux jeunes qui acceptent de bonne grâce ce pouvoir [981] ». Trois
semaines plus tard, lors du soixantième anniversaire de Vorochilov, il lance un
avertissement dans un toast qui justifie la Grande Terreur et en annonce une
possible nouvelle étape : « Les vieux doivent comprendre que, s’ils
ne laissent pas les jeunes diriger, c’est la fin. Nous, les bolcheviks, nous
sommes forts parce que nous poussons hardiment les jeunes en avant. Les vieux
doivent céder le pouvoir aux jeunes de bonne grâce [982] . » De toute
façon, ils n’ont pas le choix.
Les vainqueurs se reconnaissent entre eux. Le 2 avril 1939,
Staline et son groupe de dirigeants assistent au Bolchoï à la première de l’Opéra Ivan Soussanine de Glinka, qui raconte comment l’héroïque paysan russe,
en 1613, égara les soldats polonais dans les forêts et périt. À l’entracte,
avant le final de cette œuvre patriotique, les dirigeants quittent la loge du
gouvernement, sur le côté, où ils s’installent d’ordinaire, et prennent place
dans l’ancienne loge impériale, centrale, pour assister à la fin du spectacle.
Dès que les spectateurs, essentiellement de nouveaux promus, les aperçoivent,
ils se lèvent et applaudissent jusqu’à la fin de l’entracte. Ils recommencent à
la fin, lorsque le rideau s’abaisse puis se relève. Les acteurs alors
applaudissent à tout rompre les dirigeants qui les applaudissent à leur tour
pendant que le public des promus, éperdu, applaudit les uns et les autres dans
une communion enthousiaste.
Les rares rescapés de la purge jettent sur ces promus un
regard méprisant. Le 5 juin 1939, Alexandre Soloviev rencontre Maxime
Litvinov, limogé l’avant-veille de ses fonctions de commissaire aux Affaires
étrangères. Litvinov n’a jamais eu la langue dans sa poche, mais son congé, qui
devrait pourtant annoncer une arrestation, la lui délie davantage. Ce jour-là,
il se contente de ricaner : « Regarde qui entoure le Génie, que des
lèche-bottes [983] ! »
Le rencontrant à nouveau deux semaines plus tard, il lui dresse un portrait
accablant de l’entourage de Staline et de ce dernier. Il dénonce chez lui « l’étroitesse
d’esprit, l’extraordinaire fatuité, l’extraordinaire assurance, la vanité, l’entêtement,
le carriérisme et le pouvoir illimité, héritage d’un obscurantisme et d’une
inculture séculaires […]. Pour lui, l’essentiel c’est de savoir si on est d’accord
ou pas avec son opinion, il cherche à effacer ou à anéantir ceux qui pensent
autrement, même si ce sont des gens utiles. […]. Pourquoi est-ce que les vieux
cadres éprouvés ont été liquidés ? Parce qu’ils sont plus intelligents que
lui et qu’ils l’ont percé à jour. » Litvinov exécute en quelques mots les
courtisans, qu’il connaît bien : « Staline ne supporte pas les gens
intelligents, il choisit des imbéciles limités et
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