Staline
fantômes, transforme le fiasco de l’aventure
finlandaise en succès, et freine par conséquent l’adoption des mesures urgentes
indispensables. L’exercice lui est facile au milieu d’un aréopage de généraux
dociles. La réalité se montrera plus rétive en juin 1941. La réunion s’achève
par la constitution d’une commission de travail, présidée par le général
Koulik, ancien de Tsaritsyne, conseiller militaire des républicains espagnols
en 1937, qu’il fait nommer maréchal quelques jours plus tard au titre de la
glorieuse campagne finlandaise. Un peu plus tard, le 12 août 1942,
Staline dissoudra l’Institut des commissaires politiques que les généraux
exècrent.
La mésaventure finlandaise et les victoires fulgurantes de
la Wehrmacht avivent les tensions au sommet. Un soir, Staline accuse Vorochilov
d’avoir « pataugé » dans la campagne de Finlande. Vorochilov, rouge
de colère, se lève et hurle à Staline : « C’est de ta faute ! Tu
as détruit tous les cadres militaires [1031] . »
Staline hurle à son tour. Vorochilov, hors de lui, saisit son assiette de
cochon de lait et la jette sur la table, devant Khrouchtchev, témoin médusé de
cette scène unique.
Le 7 mai 1940, Staline remplace Vorochilov, qu’il
rend responsable de l’échec en Finlande, par Timochenko à la tête du
commissariat à la Défense. Le 9, Vorochilov présente à Staline un plan de
démobilisation de 686 000 des 3 200 000 soldats alors sous
les drapeaux. Staline en prend acte. Mais le lendemain, l’offensive allemande
brise les reins de l’armée française. Paris tombe cinq semaines plus tard. À
cette nouvelle, Staline craque. La construction sur laquelle il a fondé sa
politique extérieure depuis août 1939 s’effondre. Au Bureau politique qui
suit, sa panique frappe Khrouchtchev. Il court à travers la pièce en jurant
comme un charretier ; il injurie les Français et les Anglais. « Comment
ont-ils pu laisser Hitler les battre, les écraser comme il l’a fait [1032] ? »
Il espérait voir les Allemands, les Français et les Anglais s’épuiser dans une
longue guerre comme en 1914, or Hitler a annexé presque sans coup férir l’industrie
et l’agriculture françaises, désormais soumises aux besoins de la Wehrmacht. L’effondrement
de la France annonce l’invasion de l’Union soviétique. Il le sait. Effaré par
la jeunesse d’un corps d’officiers en formation, Staline réintègre à leurs
postes 11 000 officiers supérieurs et généraux limogés, emprisonnés
ou déportés. Mais la plupart des rescapés, brisés par l’arrestation, les
interrogatoires musclés, les aveux absurdes exigés d’eux, la prison ou le
Goulag, ne sont plus guère capables de commander. Staline en déduit qu’il doit
éviter de mécontenter Hitler. Jusqu’au dernier jour, l’URSS exécutera désormais
ponctuellement les clauses de l’accord commercial signé avec l’Allemagne et
livrera toutes les marchandises prévues, nécessaires à la machine de guerre
allemande.
L’imminence de la guerre le persuade qu’il faut se hâter d’abattre
Trotsky. Le 23 mai 1940, un groupe de tueurs dirigés par David
Siqueiros, peintre au pistolet, pénètre dans sa villa, à Coyoacán, près de
Mexico, et arrose à la mitraillette la chambre où se trouvent Trotsky, sa femme
et leur petit-fils, réfugiés sous un lit. Le coup est manqué. Beria, furieux,
emmène Soudoplatov, le soir, à la datcha de Staline qui les reçoit calmement.
Selon Soudoplatov, sa détermination à éliminer l’ancien chef de l’Armée rouge l’emporte
sur sa colère. Il approuve le plan de rechange de Soudoplatov et précise :
« L’élimination de Trotsky se traduira par l’effondrement total du
mouvement et nous n’aurons plus besoin de dépenser de l’argent pour combattre
les trotskystes et les empêcher de détruire le Comintern ou de nous détruire [1033] . » La IV e Internationale,
fondée par Trotsky en septembre 1938, est numériquement faible. Le NKVD a
de plus confisqué toute sa correspondance, fait assassiner plusieurs de ses
dirigeants (Rudolf Klement, Ernst Wolf, le fils de Trotsky, Leon Sedov, etc.)
et toute sa section soviétique, et il a infiltré sa direction. Malgré cela,
pense Staline, Trotsky et sa poignée de partisans peuvent les « détruire ».
Paranoïa ? En réalité, Staline tire les leçons de la Première Guerre
mondiale : en février 1917, les bolcheviks étaient un
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