Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Staline

Staline

Titel: Staline Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie,Jean-Jacques
Vom Netzwerk:
lettre de vingt-cinq pages accusant Avdeienko
d’avoir glorifié une ville polonaise capitaliste, puis un extrait de sa
réponse. Soudain l’accusé entend une voix rauque à l’accent caucasien : « Avdeenko
est attiré par l’étranger. » Il détourne les yeux et aperçoit, derrière la
colonne, Staline, assis à une petite table à part, invisible aux yeux des
participants, sauf aux trois dirigeants et à Avdeenko. Il regarde Staline et
éprouve un choc incrédule : où est donc passé le visage bienveillant et
majestueux, popularisé par tant de films, de photographies, de portraits, de
monuments et de bustes ? Il n’aperçoit que le banal visage jaunâtre ravagé
de petite vérole d’un petit homme aux épaules et à la poitrine étroites, « ses
cheveux blanchissants et clairsemés semblent frottés d’une poix noire, une
large tonsure […] orne le sommet de sa tête. Son bras gauche, à demi plié,
reste immobile, comme blessé ou paralysé. Seules les moustaches épaisses,
rousses, larges ressemblent aux moustaches staliniennes. Tout le reste semble
mal ficelé. On dirait un acteur qu’on aurait grimé pour qu’il ressemble au
Chef. Un acteur qui exécuterait maladroitement le rôle du grand Staline. Un
acteur qui pasticherait les manières de Staline [1039]  ».
    Il profère quelques mots méprisants à l’égard d’Avdeenko,
puis se retire derrière sa colonne. La séance continue. À un moment, il
apostrophe brutalement l’écrivain Fadeiev, qui propose « une purge
généralisée de l’Union des écrivains » que Staline n’a pas annoncée.
Avdeenko est alors frappé par son expression de férocité implacable, de dédain
et de mépris à l’égard des personnes présentes, ainsi que par la solennité avec
laquelle il profère de fades banalités. Il parle lentement, multipliant les
pauses et les longs silences, ou plutôt, dit Avdeenko, « réfléchit à haute
voix, sans se soucier des présents ». Il prononce deux ou trois phrases,
se tait, déambule le long de l’estrade, le regard fixé sur le plancher, s’arrête,
tire une bouffée de sa pipe, lâche une nouvelle phrase et repart, dans le
silence absolu de l’assistance, qui retient son souffle, n’ose ni bouger ni
dire un mot. Il répète presque mot pour mot les phrases de l’article de la Pravda puis reproche à Avdeienko de n’avoir pas fait son autocritique dès sa parution.
La discussion reprend.
    Soudain, Staline se lève, déambule à nouveau devant l’estrade
et exécute Avdeenko en quelques phrases dédaigneuses : il le qualifie en
effet de « marchand à la sauvette », parce qu’en Pologne il a acheté
un costume chic, une chemise bleu foncé, et une cravate qu’il porte précisément
ce jour-là devant un Staline revêtu, lui, de son éternelle vareuse militaire
grise et de son pantalon enfoncé dans ses bottes. « Avdeenko ne comprend
pas et n’aime pas l’Union soviétique. Avdeenko est un homme qui porte un masque ;
un suppôt de l’ennemi. » Par trois fois, ensuite, Staline revient sur le
devant de la scène, disserte sur le devoir de vérité de l’écrivain et accable
de reproches obscurs un Avdeienko éperdu et en sueur. Six heures après le début
de la séance, à onze heures du soir, il se lève et profère, mystérieux : « Peut-être
que je me trompe sur le camarade Avdeenko. L’âme d’autrui est impénétrable [1040]  », descend
lentement de la tribune et sort ; les autres s’éclipsent en silence. Une
semaine après, Avdeenko sera rayé de la liste des correspondants de la Pravda, chassé de l’Union des écrivains et son téléphone coupé…
    Staline veille de près à ce que les œuvres soient en
conformité avec sa politique intérieure et extérieure. Ainsi, en septembre 1940,
intervient-il personnellement pour faire interdire par le Bureau politique la
représentation et l’impression de la pièce de Léonid Leonov, La Tempête. Quel est son crime ? La résolution est aussi vague que brutale : « La
pièce est idéologiquement hostile et représente une calomnie méchante de la
réalité soviétique [1041]  »,
calomnie qu’on aurait du mal à découvrir. Staline ne précise pas la raison
exacte de l’interdiction. Mais on peut la deviner. L’un des deux héros, le
jeune Syrovarov, n’est plus en phase avec la politique du jour : cet
ancien officier blanc s’était, en effet, régénéré en allant combattre le
fascisme en Espagne en 1936. Ce

Weitere Kostenlose Bücher