Staline
petit parti de 4 000
à 5 000 adhérents entretenant des liens assez lâches dans une
demi-douzaine de pays européens. Ce parti, si Lénine ne l’avait repris en main,
n’aurait pas organisé l’insurrection d’Octobre dont la majorité de son Comité
central ne voulait pas… Staline sait que la guerre qui vient va susciter une
vague révolutionnaire. Le nom de Trotsky résume pour lui la menace comme, un an
plus tôt, l’ambassadeur français Coulondre l’avait déclaré à Hitler, le 25 août 1939 :
« J’ai aussi la crainte qu’à l’issue d’une guerre il n’y ait qu’un
vainqueur : monsieur Trotsky [1034] . »
Hitler n’avait pas nié le risque, mais déclaré que les Français en seraient
responsables. Staline va les rassurer tous. Confiant dans le nouveau plan, il
invite Beria et Soudoplatov à dîner et se montre d’une humeur badine.
Pendant ce temps, ralenties et mieux contrôlées, les
arrestations continuent. Une des amies de Svetlana, dont le père, Slavutski,
ancien plénipotentiaire au Japon, a été arrêté, lui transmet une lettre de sa
mère lui demandant de sauver son mari. Le soir, Svetlana tend la lettre à son
père, au beau milieu d’un dîner dont les participants connaissent tous l’emprisonné
et discutent de ses mérites. Trois jours plus tard, Slavutski est libéré, mais
Staline, qui a voulu faire plaisir à sa fille chérie, la prend à part, la
sermonne et lui interdit à l’avenir d’accepter et de lui apporter de telles
lettres. Plus cynique encore, il demande parfois à sa fille, à qui cet épisode
a révélé que son père décidait du destin des gens : « Mais comment
fais-tu pour avoir toujours des amis dont les parents sont en prison [1035] ? »
Souvent, ajoute-t-elle, le directeur de l’école recevait l’ordre de changer de
classe les enfants d’emprisonnés pour éviter qu’ils ne continuent à fréquenter
sa fille.
La défaite éclair de la France à la mi-juin le pousse à
flatter Hitler. Le 22 juin 1940, l’agence Tass publie un communiqué,
dont le corps diplomatique lui attribue la rédaction. Il dénonce les rumeurs
mettant en cause « les rapports de bon voisinage établis entre l’URSS et l’Allemagne
à la suite du pacte de non-agression ». L’armistice l’incite aussi à
élargir son glacis à l’Ouest et à s’attaquer aux trois pays baltes, qu’Hitler
lui abandonne provisoirement. Pour les « soviétiser », Staline leur
délègue un trio chargé d’y former de nouveaux gouvernements d’union nationale,
débarrassés des éléments hostiles à l’URSS, d’y installer le NKVD et d’épurer
les partis communistes locaux : Dekanozov en Lituanie, Vychinski en
Lettonie, Jdanov en Estonie. En octobre 1939, Staline avait déclaré à Dimitrov :
« Nous ne visons pas à soviétiser ces pays [1036] . » Un
contrôle politique lui suffit, mais suppose le contrôle économique, donc l’expropriation,
des propriétaires terriens et des industriels, encouragée par les ouvriers et
les journaliers agricoles de ces pays et par la présence de l’Armée rouge.
Le 20 août, un agent du NKVD, Mercader, dissimulé sous
les pseudonymes de Mornard et de Jackson, tue Trotsky d’un coup de piolet. Les
enquêteurs trouveront dans sa poche une lettre, rédigée par le NKVD, dans laquelle
il se présente comme un trotskyste déçu par la traîtrise de sa victime. La Pravda, dans un petit entrefilet, fait de Mercader un collectif de tueurs trotskystes :
« Il a été tué par ses partisans. Ce sont ces mêmes terroristes auxquels
il a appris à tuer dans l’ombre qui l’ont liquidé… ». Sous une forme
atténuée, cette falsification se retrouve aujourd’hui dans la notice que le
Larousse en deux volumes consacre à Trotsky, et qui ose écrire : « Il
est assassiné par son secrétaire. »
Ce même mois, par un hasard contrôlé, Staline décrète un
nouveau règlement militaire disciplinaire, destiné à remplacer l’ancien serment
internationaliste de l’Armée rouge, rédigé par Trotsky. Il définit l’Armée
rouge non plus comme un instrument d’expansion de la révolution, mais comme un
outil de défense nationale. Ce changement doit, entre autres, démontrer à
Hitler que le « judéo-bolchevisme » et ses plans de révolution
mondiale sont relégués au magasin des antiquités. Le meurtre de Trotsky,
quoique étouffé par le fracas de la guerre, a la même signification politique,
que
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